C’est une nuit comme tant d’autres. Deux petits êtres sont bercés par de doux rêves dans la chambre voisine alors que les miens sont à nouveau hantés par de vieux démons. Je me réveille encore une fois en sursaut. Je me redresse dans mon lit. J’ai la sensation d’étouffer, la gorge nouée, le cœur qui bât, envie de crier. Mais rien ne sort à part des larmes que je ne peux empêcher de couler… Comme toujours dans ces cas là, il me faut quelques instants pour reprendre mes esprits. Je dois remettre de l’ordre dans ma tête pour me sentir rassurée, apaisée : « c’est fini tout ça, c’est fini, tout va bien« …
La violence invisible du pervers manipulateur
Plus de douze ans ont passé mais le mal est encore là, enfoui au plus profond de mon être. Aucune trace visible des stigmates du passé, aucune cicatrice. Et pourtant, à l’intérieur de moi, quelque chose semble brisé à tout jamais. Certaines personnes ne comprennent pas d’où vient ce mal qui me ronge. Pourquoi, des années après, il est encore si présent. Pour elles, il ne s’agissait que de mots. Je devrais m’estimer heureuse de ne pas avoir connu la douleur des coups. Oh oui, quelques baffes, on n’appelle pas ça des coups… Mais sur l’échelle de la violence, aucune n’est plus difficile à vivre qu’une autre, une dont il est plus facile de s’en sortir. « Il y a des mots bien plus acérés que des couteaux, des mots qui détruisent sans qu’on le dise… »
Avez-vous déjà eu l’impression que votre souffle se coupe comme si vous veniez d’être percuté-e par un poing lorsqu’on vous insulte ? Lorsqu’on vous rabaisse ? Lorsqu’on vous menace ? Avez-vous la moindre idée de la force de destruction psychologique de celui qui vous domine, de celui qui vous manipule, de celui qui vous enferme dans son monde ?
Il est très difficile de se défaire des démons du passé . Et pourtant, j’ai bien essayé : psychologue, magnétiseuse, énergéticienne, bonhommes allumettes, même un shaman lors d’un voyage au Pérou ! J’étais prête à tout pour ne plus me réveiller en pleine nuit. Prête à tout essayer pour ne plus revivre ces scènes de dénigrement et ces insultes dans mes cauchemars. Prête à tout plus ne plus ressentir dans mes cauchemars cet isolement, cette dévalorisation. Prête à tout pour oublier ces silences ou cette ignorance qui pouvaient me faire si mal, ce chantage dès que je voulais m’en aller, ces menaces de se tuer si je le faisais…
Certain-e-s m’ont déjà dit et me diront encore que je n’avais qu’à partir, se demanderont comment j’ai pu supporter une telle situation sans rien dire et sans rien faire, que je ne devais pas être si malheureuse que ça pour rester… J’ai été une de ces victime inconsciente de la violence psychologique . Une violence dont il est difficile de comprendre les mécanismes pour celui ou celle qui la subit et son entourage !
J’ai vécu sous l’emprise et la manipulation jusqu’à penser que la seule manière de m’en sortir, c’était de mourir…
Mais j’ai survécu ! Il m’a fallu du temps, de l’aide, de l’écoute et de la bienveillance pour me reconstruire petit à petit, pas après pas. Retrouver une liberté de penser et de m’exprimer. Pouvoir faire des choses par moi-même. Gagner en autonomie et en indépendance. Penser à moi avant de penser à l’autre. Porter les vêtements qui me plaisent. Travailler dans le domaine qui est le mien. M’épanouir, aimer à nouveau, faire confiance, envisager un avenir à deux, puis à trois pour finir à quatre…
J’ai vécu dans le déni. J’ai trouvé des excuses. J’ai défendu celui qui m’a réduite en bouillie même après m’être enfuie. Il m’a fallu du temps pour me rendre compte que tout cela relevait encore de son emprise. Puis, j’ai connu la haine, cette rage qui monte de l’intérieur, qui fait serrer les poings et grincer les dents. J’ai ressenti cette violence qui donne envie de tout détruire sur son passage, ce besoin de vengeance… Mais je n’en ai rien fait, j’ai laissé du temps au temps sans pour autant me sentir mieux puisque les cauchemars et mon obsession du poids continuaient.
Alors, j’ai pris une feuille et un stylo et j’ai commencé à lui écrire une lettre.
J’ai couché les mots sur le papier pour tout lui raconter.
Comment de la jeune fille de 17 ans que j’étais il a su profiter, manipuler, transformer en une espèce de poupée dénuée de tout sens critique, de réflexion, d’analyse…
Comment tout le mal qu’il a pu dire de ma famille et de mes ami-e-s a réussi à m’isoler un peu plus chaque jour. Qu’il avait réussi à mettre de la distance tant affective que kilométrique entre eux et moi comme il le voulait, pour mieux me contrôler, me dominer…
Comment cette surveillance quotidienne de mon apparence physique et de mon poids me dévore aujourd’hui encore et a un impact sur ma vie de famille, sur mon enfant…
Comment dénigrer mes pensées, prendre la parole à ma place, me rabaisser, me faire douter de mes propos ont contribué à me faire perdre toute confiance en moi, me faire me sentir nulle et incapable de faire quoique ce soit sans lui…
Comment l’avenir qu’il nous avait tracé m’avait fait renoncer à mes désirs de maternité au point de conditionner mon corps et mon esprit à ne jamais être mère…
Comment son chantage au suicide quand je voulais partir m’enfermait un peu plus à chaque fois dans la culpabilité et la peur…
Comment il a fait de ma vie un enfer où seul l’alcool m’aidait à anesthésier mes pensées pour supporter ces jours sans fin et ces relations sexuelles qui étaient plus subies que désirées…
Comment l’envie de mourir pour en finir m’accompagnait à chaque fois que je prenais la voiture, que mon regard se posait sur une lame de rasoir ou la boîte d’antidépresseurs…
Ma vie d’après
Puis je lui ai raconté ma vie après lui jusqu’à maintenant :
Ma famille qui a été là pour me ramasser à la petite cuillère et me couver en attendant que mes ailes repoussent pour prendre un nouvel envol.
Mes ami-e-s qui malgré la distance ou le silence et ont su trouver les mots pour me permettre d’avancer.
Mon mari qui me soutient et m’encourage dans tout ce que j’entreprends.
Ces grossesses vécues sans penser aux kilos que je prenais parce que j’étais belle dans le regard de celui qui m’aime.
Ce tatouage qui marque ma peau comme un symbole de ma sortie des flammes de l’enfer.
Cet emploi qui me fait lever le matin avec l’envie d’accomplir de belles choses.
Mais aussi, de ces deux enfants qui font mon bonheur de maman, de ces sentiments que j’ai failli ne jamais connaître, de cette joie de vivre retrouvée…
J’ai relu cette lettre, encore et encore, jusqu’à la connaître par cœur. J’ai pu poser des mots sur le papier pour exprimer tout ce mal que je ressentais. Et pourtant, cette lettre, je ne lui enverrai jamais. A quoi bon après toutes ces années… A quoi bon alors que j’ai envie de tourner le dos à mon passé pour mieux avancer ?
Coucher les maux sur le papier m’a apaisée, la colère est tombée. Je me sens enfin libérée d’une partie de ce poids du passé.
Je sais que la route est encore longue pour y parvenir. Mes larmes n’auront pas fini de couler tant que je me réveillerais encore la nuit, tant que des morceaux auront besoin d’être recollés. Je dois encore apprivoiser mon corps et apprendre à l’aimer.
Mais je dois surtout profiter pleinement de cette chance qui m’est offerte. Vivre ce bonheur, savourer chaque moment, profiter de mes enfants, me dire que la vie est enfin belle…