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Demandeurs d’emploi et l’humain dans tout ça ?

Il y a quelques temps, j’ai passé un entretien dans une structure publique qui accompagne les demandeurs d’emploi. Le poste concernait l’accompagnement de ces derniers, le contact avec les entreprises, le soutien aux conseillères et conseillers emploi. Je ne reviendrais pas sur l’accueil et la manière dont s’est déroulé l’entretien. Ni sur les questions posées comme si j’étais déjà en poste dans la structure depuis 5 ans. Non, ça, c’est un autre débat. Mais qui en dit suffisamment long pour moi sur les conditions de travail des conseillères et conseillers emploi ou des psychologues du travail. Et encore plus sur l’accompagnement des demandeurs d’emploi. J’en suis sortie en me demandant non seulement ce que j’étais venue faire là mais surtout cette question :

ET L’HUMAIN DANS TOUT CA ????

Hommes femmes - demandeurs d'emploi -

Les demandeurs d’emploi ne sont pas des numéros !

J’ai travaillé plus de 10 ans dans le domaine de l’insertion professionnelle. J’avais déjà parlé de mes conditions de travail dans plusieurs articles à relire ICI ou LA

Ce métier, je l’adore. C’est une grande satisfaction personnelle de voir des projets aboutir et des personnes repartir boostées. Accompagner des personnes dans des périodes de transition professionnelle, les amener à réfléchir à leur projet, trouver un emploi, une formation… Voilà mon métier, celui que j’exerçais avec mes valeurs humaines et mon empathie. Et pourtant, tous ces organismes qui se font de l’argent sur le dos des demandeurs d’emploi ont réussi à m’en écœurer. Une nouvelle fois, en sortant de cet entretien, j’ai compris pourquoi je ne pourrais plus l’exercer dans ce type de structure.

Je suis psychologue du travail et je ne travaille pas avec des chiffres.

Je ne suis pas programmée pour engendrer de la rentabilité mais pour être à l’écoute des personnes. Mon travail ne consiste pas à abattre des tests de personnalité, d’aptitudes, d’orientation sans me préoccuper de la personne que j’ai en face de moi. Je ne peux pas enchaîner des entretiens de 30 minutes si je ne cherche pas à comprendre ce qui motive la personne en face de moi. Remplir des tableaux, faire entrer les gens dans des cases, élaborer des statistiques, ce n’est pas mon métier.

Non, mon cœur de métier c’est l’humain, la personne dans sa globalité ! Et c’est bien là que ça bloque avec tous ces organismes.

Pourquoi ?

Parce que les parcours d’accompagnement sont balisés et le recours à des prestataires externes encore d’usage. Pour être « rentables », les structures sont soumises à un cahier des charges comprenant différents indicateurs « de performance ». Évaluer la satisfaction du candidat, indiquer le nombre de candidatures envoyées, le nombre d’entretiens. Puis vient le moment d’indiquer le nombre de « sorties positives », c’est à dire le nombre de retour à l’emploi ou en formation…

Ce cahier des charges prévoit donc différentes phases à respecter pendant l’accompagnement. Un peu comme des étapes obligatoires à franchir dans le but de trouver du travail. Les mêmes pour toutes et tous. Allez hop, tout le monde dans le même moule !

Et puis, surtout, il ne faut pas que ça prenne trop de temps tout ça. Une demi-heure ou une heure tous les 15 jours/mois sinon ce n’est pas rentable. Vous trouvez ça suffisant vous pour résoudre tous vos problèmes de recherche d’emploi ? Moi non plus !

Des conseillères et conseillers démuni·e·s malgré leur empathie et leurs valeurs humaines

Les personnes travaillant dans ces structures, en contact direct avec le public, prennent en considération cette humanité justement, faisant souvent fi de tous ces indicateurs et autres numéros.

Elles travaillent avec les moyens qui leur sont laissés, avec des marges de manœuvre restreintes, sans parler des directives contradictoires. 

Mais l’accompagnement se fait toujours avec bienveillance et humanité pour bon nombre d’entre eux. Cela ne va pas sans générer quelques frustrations de ne pas pouvoir « faire plus ». Passer plus de temps avec celles et ceux qui en ont besoin.

C’est justement ça qui est difficile avec ce métier. On accompagne des humains mais on nous demande de remplir des indicateurs. Du chiffre, du placement, des sorties positives…

Alors quelle est la place de l’humain dans tout ça ?

Parce que chaque personne est unique, ses attentes, ses besoins, ses freins lui sont propres.

On ne peut pas prescrire le même suivi à un.e jeune diplômé.e qu’à une personne de 50 ans qui a passé toute sa carrière dans la même entreprise.

Les sénior.e.s ont beaucoup de mal à faire valoir leurs capacités d’adaptation et se heurtent au jeunisme des recruteurs.

Une personne trop éloignée de l’emploi ne peut pas toujours retrouver un emploi en 3 mois.

Créer son entreprise n’est pas une option qui convient à tout le monde.

Partir en formation, ça peut faire peur quand on a été en situation d’échec scolaire.

Travailler en horaire décalés quand on n’a pas de mode de garde adapté paraît bien compliqué !

Et que dire de la femme qui n’a jamais travaillé ou arrêté de travailler pour se consacrer à l’éducation de ses enfants ? Elles sont nombreuses à venir en disant qu’elles ne savent rien faire à part s’occuper des enfants. Et elles devraient trouver du boulot ou une formation dans un temps record ?

Ou encore, cette personne reconnue incapable d’exercer son métier mais dont l’orientation vers un Cap Emploi n’a pas encore été faite par manque de place ?

Et est-ce qu’on parle de Madame X, victime de violences conjugales, qui a perdu toute estime de soi et confiance en elle ?

Tristesse
Illustration Mademoiselle Maman

Que dire encore de la situation de Monsieur Y, chirurgien dans son pays dont le diplôme n’est pas reconnu en France ? Une famille à nourrir, à loger, alors il ne sera pas difficile Monsieur Y, il ira faire des ménages chez des particuliers.

Madame Z, qui habite en zone rurale, n’a pas accès à internet parce que sa zone n’est pas couverte. Elle voudrait bien travailler mais elle n’a pas le permis. Et puis, le bus passe toutes les deux heures et ce n’est pas très pratique pour aller récupérer les enfants chez le beau-père.

Et en cas de maladie comme le cancer, quand il n’a pas été possible de reprendre une activité à cause des traitement ? Parce que la maladie fait encore peur, il faut le dire.

On en parle des parents dont les enfants souffrent d’un handicap ? Des aidants familiaux ?

Quand est-ce qu’on arrêtera de vouloir faire entrer les demandeurs d’emploi dans des cases ?

Comme vous le voyez, il existe une grande diversité des situations et des freins à l’emploi. Vouloir pousser des gens à reprendre un emploi tant que ces freins ne sont pas levés est voué à l’échec. Mais il semblerait que cela ne soit pas suffisamment pris en compte par les pouvoirs publics.

Quand une personne ne retrouve pas d’emploi, la menacer de radiation si elle refuse une offre n’est pas LA solution. Lui faire passer des batteries de tests psychotechniques ou psychologiques non plus. Non, comme mentionné avant, s’il y a un blocage, tant qu’il n’est pas levé, c’est inutile d’envisager un retour à l’emploi. Parce que la personne qui est victime de violence, ou celle qui n’a pas résolu son problème de logement, ou encore qui est dépendante à l’alcool, qui n’a pas de mode de garde pour son enfant… Pensez-vous vraiment que trouver un emploi est la solution ? Non, il faut d’abord résoudre ces problèmes avant d’envisager un emploi.

Et le pire dans tout ça, c’est que ces personnes qui rencontrent des freins différents sont soumis aux mêmes obligations :

  • répondre à chaque convocation et ne pas reporter les entretiens trop souvent
  • ne pas refuser plus de 2 offres raisonnables d’emploi
  • effectuer une déclaration de leur situation tous les mois
  • justifier de leurs démarches
  • se rendre aux entretiens d’embauche
  • participer à des ateliers…

S’ils ne respectent pas ces engagements : radiation !

Je ne veux plus de ce système !

Entendre que les demandeurs d’emploi sont des gens qui profitent du système, qu’il y a du boulot pour celui ou celle qui le veut bien, j’en ai assez ! La réalité du terrain, je la connais, je l’ai côtoyée et la côtoie encore au quotidien.

On ne peut pas généraliser, on ne peut pas dresser un profil type des demandeurs d’emploi. Chaque situation est unique. Les freins ne sont pas les mêmes pour toutes et tous.

Alors oui, il existe des solutions pour que chaque personne puisse travailler sur ses freins, son projet, ses démarches. Mais en fonction des situations, elles demandent du temps. Prendre le temps de s’intéresser à la personne, à son parcours, à ses freins. On ne peut pas forcer une personne à nous faire confiance dès le premier entretien. Mais avec du temps – eh oui, encore – lorsqu’elle s’installe, il est possible d’aborder des sujets plus sensibles. Et donc, de faire avancer les choses ensemble, d’envisager des pistes de solution.

Il n’est donc pas possible de proposer le même type d’accompagnement à tout le monde. Pour certaines personnes, le retour à l’emploi est rapide. Mais pour d’autre, il faut parfois emprunter des chemin de traverse pour leur permettre d’avancer socialement.

Et tout ça, ça prend du temps. Beaucoup de temps dans certaines situations. Du temps que n’offrent pas les chiffres, les statistiques, les indicateurs…

articulation des temps

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Égalimère

Working-mum, pro de l'équilibre vie pro-vie perso, qui culpabilise, râle contre les stéréotypes & les inégalités, aime la vie, les sorties et les voyages.

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