Le sexisme de rue est de plus en plus dénoncé sur les réseaux sociaux. Des sites y sont dédiés dont le fameux tumblr « Paye ta shnek« . Rares sont les femmes ou les jeunes filles qui échappent à ces remarques sexiste dans la rue. Vous savez, les fameux « Et M’dame, tu me donnes ton 06… », « Vous êtes charmante, ça vous dirait d’aller faire un tour avec moi ? »… Quand ce ne sont pas les insultes parce que vous ne répondez pas…
Mais s’il y a bien un moment pendant lequel je pensais y échapper, c’est lorsque je pratique la course à pied. J’étais loin de me douter que, même en tenue de sport, transpirante et rouge comme une tomate, le sexisme de rue allait encore frapper.
Choisir une tenue de running confortable mais pas sexy
Lorsque j’ai commencé à courir, je ne comprenais pas l’intérêt d’avoir ce que j’appelle une « tenue fluo » qui colle à la peau. Avec l’augmentation des distances et des temps de course, je me suis rendue compte que je transpirais beaucoup. Mon bas de jogging absorbe la transpiration et colle énormément. Non seulement ce n’est pas très agréable au niveau des sensations mais me gêne dans mes mouvements.
J’ai donc sauté le pas cet été après m’être renseignée auprès de copines runneuse. Je me suis donc rendue dans un magasin de sport pour m’acheter un de ces fameux « bas fluo ». J’en ai pris plusieurs modèles avant d’entrer dans la cabine d’essayage.
J’enfile un premier bas et là, je me dis que ce n’est pas possible. Non, je ne pourrais jamais courir avec un truc comme ça, si collant, comme si j’avais une deuxième peau sur moi…
J’en essaye un deuxième, plus épais et moins collant (tout est relatif, il est quand même très près du corps…). Mais je suis gênée par tout ce fluo sur les cuisses…
Enfin, je trouve mon bonheur dans troisième bas où seule la taille a des couleurs fluo. Le tissus ne moule pas trop et me laisse libre de mes mouvements. Je ne suis pas habituée à porter quelque chose d’aussi près du corps mais la promesse du vêtement qui ne retient pas la transpiration me séduit. Allez hop, c’est parti, je l’achète !
De la cabine d’essayage à l’essai en situation de course.
Nous étions donc en vacances près de la côté sauvage lorsque j’ai effectué ma première sortie avec mon bas de course. Je croisais de nombreuses personnes portant des tenues similaires, hommes ou femmes. Généralement, elles se souriaient et continuaient leur run sans se soucier des autres. Chacun.e à sa course et au plaisir de laisser son regard se perdre dans l’infinité de l’océan.
Je ne suis pas du tout gênée par ce corsaire de course moulant et je le trouve plutôt agréable. Je transpire mais il ne colle pas à mes jambes, un vrai confort. J’ai donc effectué plusieurs sorties l’été avec ce bas.
De retour en région parisienne et avec la reprise du travail, j’ai dû modifier mes heures de course. Le seul moment où c’est gérable pour moi c’est le matin, très tôt. Même si quelques réveils sont difficiles, j’ai appris à apprécier ce moment pour moi. La rue est quasiment déserte et j’aime voir le jour se lever au fur et à mesure de ma course.
Mais pas ce matin…
Après une nuit pourrie, je me suis dit que j’irai courir après avoir déposé les enfants à l’école. Nous sommes mercredi, jour off au niveau du travail. J’enfile mon bas, mes chaussures, mon casque sur les oreilles. Je lance ma playlist Shaka Ponk pour me motiver et me voilà partie dans les rues. Il est 8 h 45.
A cette heure là, les rues sont plus fréquentées. Il est plus difficile de courir mais je suis de bonne humeur, je tourne les choses en positif.
Je travaille mes déplacements latéraux
Très efficace pour éviter les piétons ! Trois pas de course, hop, esquive à droite. Cinq pas de course, hop, esquive à gauche. 10 pas de course, hop, nouvelle esquive à gauche…
Je fais des courses fractionnées
Et ça, sans m’en rendre compte. Course, passage piéton avec arrêt obligatoire. Course, passage piéton où la voiture ralenti mais… ne s’arrête pas. Course, passage piéton…
Je travaille mon self contrôle
Je passe devant un groupe d’adolescentes en train de fumer. A mon arrivée, elles pouffent mais bon, c’est l’âge hein… Mais, alors que j’arrive à leur hauteur, l’une d’elle s’approche de moi et me crache sa fumée en pleine figure. L’envie de m’arrêter pour lui demander si ses parents savent qu’elle fume à 14 ans est grande mais je rumine et poursuis ma course. Je l’imagine juste la téléporter dans un service de cancérologie pour qu’elle se rende compte des dangers qui la menacent si elle continue à fumer mais poursuivre ma route…
Je fais du tout terrain
Avec les travaux, je cours un peu sur la route, un peu sur des graviers, je saute par dessus des sacs…
Bref, jusque là, même si j’ai juste envie à des moments de hurler « Mais poussez vous et laisser moi courir en paix !!!!« , tout va presque bien.
Et soudain, le sexisme de rue !
C’est alors que j’arrive à hauteur de travaux sur la voirie. Un groupe d’hommes avec leurs gilets fluo jaune s’affairent entre des câbles à tirer, un trou à creuser, des tuyaux à porter… Mais quand je m’approche, tous s’arrêtent de travailler pour me regarder… Même si j’ai mon casque sur les oreilles et que j’écoute de la musique, j’entends l’un d’eux faire une réflexion sur mon anatomie (pu@@@@ de corsaire moulant !!!) et je sens tous ces regards qui se posent sur moi. Je continue ma course comme si rien ne se passait…
Comme de nombreuses femmes, je commence à être blasée de ces réflexions que j’entends de manière presque quotidienne, que ce soit moi, mes copines, ma voisine de RER, la jeune fille qui se promène toute seule dans la rue… Tous ces « vous êtes charmante« , « eh Madame, tu me laisses ton 06« , « Vous avez de beaux yeux« . Mais ils sont conscients ces hommes qu’aucune femme ne s’arrêtera pour laisser son numéro de téléphone ou aller prendre un café avec eux !!! Quand je cours, c’est pareil ! Je cours, je ne cherche pas à me faire sauter par le premier venu dans la rue !!
Bref, je lève les yeux au ciel, je soupire et continue ma course. Mais tout à coup et sans que je m’y attende, un des hommes se place à ma hauteur et fait quelques pas de course avec moi. Surprise, je fais d’abord un bond sur le côté avant de tourner la tête pour le fusiller du regard. Il s’arrête et rejoint ses collègues, tous plus morts de rire les uns que les autres.
Cette situation peut paraître anodine : nous sommes en pleine rue, il fait jour, la rue est pleine de passant-e-s. Monsieur veut amuser la galerie et trouve ça drôle de faire comme s’il allait m’accompagner dans ma course alors que je ne lui ai rien demandé, que je ne le connais pas, que je ne lui ai même pas adressé la parole.
Mais pour moi, il n’y a rien d’anodin dans ce geste, je me suis sentie agressée ! Oui, agressée par ce côté domination masculine d’un homme qui s’autorise, sous prétexte que je suis une femme, à envahir mon espace personnel. Cet homme qui entre dans ma bulle, fait semblant de m’accompagner pour faire rire ses potes aurait jamais agit de la même manière si un homme avait été à ma place ? Si cela avait été sa femme, sa mère, sa sœur, sa fille ?
Furieuse, j’ai continué ma course en pensant à la rue, cet espace que les femmes ne peuvent pas s’approprier, cet endroit propice au harcèlement sexiste qui empoisonne le quotidien de nombreuses femmes.
Je me suis imaginée dotée de super pouvoirs et retirant d’un coup son pénis et ses couilles à cet homme pour le doter d’un vagin et d’une paire de seins.
Je l’aurais laisser continuer à travailler avec ses collègues dans un secteur traditionnellement occupé par les hommes. Je l’ai imaginé se confronter aux blagues sexistes quotidiennes de ces derniers. Se cacher pour aller se changer dans un coin de vestiaire qui ne serait pas aménagé pour les femmes. Ne pas se faire obéir parce qu’il exerce son métier dans un milieu d’hommes. Se faire siffler dans la rue, rentrer tard le soir en pressant le pas pour ne pas faire une mauvaise rencontre…
Mon imagination est beaucoup plus fertile que mon sens de la répartie et mes capacités à réagir face à un groupe d’hommes d’où l’envie d’en faire un billet.
Je cours dans la rue parce que cet espace est un espace public et qu’il m’appartient autant qu’à tout le monde, femmes et hommes.
Je cours seule dans la rue parce que cela ne devrait pas être un endroit où je puisse me sentir harcelée par une réflexion ou une attitude sexiste.
Je cours dans la rue parce que j’ai envie de me sentir libre d’aller où je veux, quand je veux sans avoir à me demander à quelle heure je peux y aller pour ne pas me faire emmerder.
Je cours dans la rue alors laissez-moi courir !!!
A lire :
- Enquête ENVEFF et Florence Maillochon « Violences dans l’espace public«
- L’étude « L’usage de la ville par le genre : les femmes » – a’urba / ADES-CNRS