Transfert, quand les relations avec les blogueuses dérapent
La semaine dernière, j’ai été interpellée par la publication d’une blogueuse – auteure à succès que j’aime beaucoup. Hélas pour elle, je ne suis pas la seule à l’aimer beaucoup (vous comprendrez ci-après pourquoi je dis hélas). Le nombre de personnes qui la suivent est hallucinant, que ce soit sur son blog, Facebook, Instagram… Et là, vous vous demandez quel est le rapport avec le transfert sur les réseaux sociaux ? Patience, je vous explique.
La blogueuse, ma BFF (Best Friend Forever)
Comme cette blogueuse-auteure renvoie l’image de la fille sympa, à l’écoute, empathique, qu’elle parle de sa vie sur son blog, on a l’impression de bien la connaître…
Elle représente le genre de copine qu’on a sans doute envie d’avoir et avec qui on rêverait de partir en weekend. Vous savez, la bonne copine avec qui on boit des coups, on discute jusqu’au bout de la nuit, on rigole… Celle qui sait vous écouter et vous réconforter quand ça ne va pas fort. La même qui peut vous appeler à 3 h du matin parce qu’elle vient de se souvenir à quel endroit vous avez posé le doudou de votre enfant que vous ne retrouvez plus.
Enfin bref, THE BEST FRIEND FOR EVER.
Et voilà qu’arrive le transfert
Quel est le souci ? Comme elle renvoie cette image, de nombreuses personnes peuvent s’imaginer qu’elle est leur BFF… Elles pensent qu’un véritable lien affectif se crée entre la blogueuse et elles. Nous ne sommes pas dans le domaine du conscient mais de l’inconscient. Voilà pourquoi je parle de transfert comme en psychanalyse.
Notre blogueuse reçoit donc de nombreux messages au sujet du dernier article publié, des demandes de renseignements ou de conseils. Certain·e·s lui font tellement confiance que ce sont des confidences qui lui sont faites, des histoires de vie racontées parfois douloureuses. D’autres lui envoient des projets de roman à relire pour avoir son avis.
Je pense que sa boîte mail ou sa messagerie Facebook sont au bord du burn-out avec toutes ces sollicitations.

Crédit Photo Nana Cam Photo
C’est le jeu ma pauvre Lucette (copyright Loterie nationale 😉 )
Mais bon, vous me direz que c’est normal pour une blogueuse non ? Quand on s’expose sur les réseaux sociaux, il faut s’attendre à être sollicitée de la sorte. Elle le veut bien notre blogueuse ! Oui et non.
Parce que figurez-vous que la blogueuse, aussi disponible puisse-t-elle donner l’impression d’être, est une vraie personne. Et oui, elle est bien réelle et elle a une vie en dehors de son écran et des réseaux sociaux.
Comme de nombreuses personnes, elle doit gérer sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Pour écrire ses romans, elle a besoin de se documenter, d’aller rencontrer des gens, son éditrice. Elle participe à des émissions de radio et donne des interviews… Et puis il y a sa famille avec qui elle aime passer du temps.
La blogueuse ne passe pas 24 h sur 24 sur son écran d’ordinateur à répondre à tous les messages, mails qui lui sont envoyés. Elle ne peut pas. Ce n’est pas humainement possible.
Le transfert dans les relations 2.0
Le problème, c’est que cela génère de la frustration chez certaines personnes qui attendent une réponse… Et qui dit frustration dit colère. Voilà donc que notre blogueuse-auteure préférée reçoit des messages d’insultes, qu’on lui fait remarquer que ses chevilles gonflent en même temps que les ventes de ses livres, qu’elle se prend pour une star qui ne s’intéresse plus à son public.
Ce n’est pas la première fois que je vois passer ce genre de publication et d’interrogation.
Il y a quelques semaines, une autre blogueuse s’interrogeait sur la manière de réagir parce que des lectrices lui donnaient des petits noms. Pour elle, donner un petit nom relève de la sphère de l’intime et non des relations 2.0 qu’on peut avoir sur les réseaux sociaux. Elle était gênée par cette proximité qu’elle n’avait pas vraiment cherché. Flattée mais gênée…
Une autre blogueuse s’étonne de voir que certaines lectrices partagent toutes ses publications, s’achètent les mêmes vêtements ou chaussures…
Pour une autre, cela a été une véritable surprise de se faire insulter parce qu’elle n’avait pas reconnu une fan de sa chaîne Youtube lors d’une manifestation.
Alors, quelles sont les limites de ce transfert ou des ces relations 2.0 ?
Ce qui me vient à l’esprit tout de suite, c’est que ces relations 2.0 sont biaisées. Ce que nous lisons sur les blogs, ce n’est qu’une partie de la personnalité de la blogueuse ou du blogueur. Les photos publiées sur les réseaux sociaux ne représentent qu’une infime partie de la vie que cette personne veut bien partager.
Ces images qui sont renvoyées sont la plupart du temps bien sympathiques, attachantes. On aime un blogueur ou une blogueuse parce que cette personne nous fait rire ou nous émeut. Parce qu’on trouve des informations intéressantes sur des sujets qui nous passionnent. Ou encore parce qu’à la lecture de ces articles, on arrive à se sentir moins seul·e·s dans certaines situations. C’est pour cela qu’on va rédiger un commentaire, envoyer un message.
Pour un blogueur ou une blogueuse, c’est toujours très agréable d’avoir des commentaires sur ses publications. Cela signifie que l’article fait réagir, qu’il touche, qu’il fait rire… qu’il atteint sa cible.
Mais parfois, les commentaires dépassent la simple envie de parler d’un sujet et on entre dans le domaine de l’intime. De la confidence voire même du secret de famille. Et là, comment réagir quand on reçoit ce genre de message ? Que dire ? Quoi faire ?

Crédit Photo : @Nana Cam Photo
Et si on se posait la question : commentaire ou confidence ?
Quand je faisais de l’accompagnement des personnes, il m’arrivait d’être dans des relations où le transfert faisait son apparition. Mais l’avantage, c’est que j’étais protégée par un cadre, des objectifs à atteindre. Je pouvais rappeler les limites de l’accompagnement quand la personne devenait trop familière avec moi.
Mais sur les réseaux sociaux, il n’y a pas de cadre, pas de règles. Nous avons face à nous des personnes qui ne sont pas forcément des spécialistes de telle ou telle question. Des personnes qui peuvent se retrouver démunies face à un témoignage, une situation qu’elles ne savent pas comment gérer ou quelle suite donner.
Ces personnes ne sont pas toutes des professionnelles de la petite enfance, du handicap, de l’accompagnement des femmes victimes de violence, de l’édition… A chacun·e son métier et ce n’est pas parce qu’un blogueur ou une blogueuse aborde un thème dans un article qu’il ou elle pourra répondre à toutes les questions sur ce dernier.
Mais cela ne doit pas justifier que les lecteurs ou lectrices déversent leur colère, leur frustration ou de la violence sur cette personne. Car il s’agit d’une personne justement, avec ses limites, une vie virtuelle et une vie bien réelle qu’elle souhaite souvent préserver.
Et ça, malheureusement, nous pouvons avoir tendance à ne pas nous en rappeler…
J’aime beaucoup ton article. Il touche très bien du doigt le problème avec Internet, les réseaux sociaux et la blogosphère. On intéragit avec des gens que nous ne connaissons qu’au travers de leurs écrits et que par conséquent on croit connaitre. Et en même temps, on ne se comporte pas comme si on avait de vraies personnes en face.
C’est sûr que pour certaines personnes, le contact via les réseaux sociaux est plus facile qu’en face à face. Les relations ne sont pas les mêmes, en effet.
tu parles de Virginie Grimaldi? 🙂 J’ai vu un de ces posts passés sur ce sujet. 🙂 je pense que de la part des lecteurs, il y a, en plus d’un transfert certain comme tu l’expliques très bien, un côté « tu nous le dois bien parce que si tu en es où tu en es, c’est aussi grâce à nous! » qui met certains en colère quand il n’ont pas la réponse qu’ils attendaient. :/
J’ai lu ce genre de publication chez plusieurs personnes, pas forcément toutes auteur·e·s. C’est vrai qu’il y a, en plus, ce côté « c’est grâce à nous si tu es connu·e, que tes livres se vendent, que tu as des partenariats de ouf… » :-/
Excellent article… c’est amusant car je suis aussi en train d’écrire sur le sujet un post intitulé « je ne suis pas celle que vous croyez ». Il y a cette image qu’on veut bien montrer en étant blogueuse et une part de mystères. De mon côté les gens m’envoient des messages pour avoir des conseils pour leurs voyages, j’essaie de prendre le temps d’y répondre et quand je ne suis pas dispo je leur dis et les renvoie sur mes articles. Une seule fois, je me suis fait insultée car la nana avait prévu d’aller à Londres en avion et elle n’avait qu’une carte d’identité, et s’est fait refouler : c’était ma faute car je n’avais pas préciser que certaines compagnies aériennes exigent un passeport ! Je l’ai vite recadrée 😉
Mary, la blogueuse mystérieuse que j’aime tant 🙂
Un article qui fait réfléchir… (comme souvent avec Egalimère 🙂 ). Je crois avoir vu passer un des posts dont tu parles. Les propos de la blogueuse m’ont interpelés. Je me suis dis… Merde, cette fille nous fait exploser de rire régulièrement, sourire très souvent, transmet de belles émotions avec une si jolie plume… et elle se prend des trucs comme ca dans la figure… La violence des propos que l’on retrouve souvent dans les commentaires de posts, articles, photos, les avis laissés par certains, tranchés et non discutables, les moqueries… Il y en a tant lorsque l’on parcourt le web. Nous sommes éduqué.e.s à nous exprimer de telle ou telle façon selon que l’on s’adresse à quelqu’un.e de la sphère amicale, familiale, éducative, professionnelle, et selon le mode d’expression (oral, mail, courrier…). Il y a des codes, des formules appropriées, un cadre que l’on adapte en fonction de la situation et de la personne… Existe-t-il un tel cadre pour s’exprimer sur les réseaux, apprenons-nous à communiquer avec L’Autre, celui /celle qui appartient à la sphère internet (et non familiale, pro, amicale…)? Alors chacun.e y va avec bon sens, respect, courtoisie, générosité, amabilité… ou pas. Et quand en plus il y a transfert, comme tu l’évoques… cela n’arrange pas les choses. Bon Egalimère, attention à toi… je suis une de tes grandes fans… 🙂
Vite, vite, je m’empresse donc de te répondre 😉
Merci pour ton commentaire qui étaye mes propos et poursuit le questionnement : quel est le cadre à respecter sur les RS ?
C’est bon, tu as respecté un délai de réponse raisonnable ! Alors je vais continuer à te suivre… Mais je crois que même sans réponse…
Po po lo po po po poooo 😉
je crois que je me suis reconnue dans la partie « les petits noms » 😉 moi vraiment ça m’interpelle parce que même si je raconte ma vie je suis très loin de verser dans l’intimité. Et franchement ça me fout aussi les jetons de recevoir un lundi matin » tout va bien, tu n’as rien publié sur Facebook ce week-end »
Et un autre mystère dévoilé, un ! Et oui, ta publication m’avait aussi interpelée parce que je n’avais réfléchi à cette notion d’intimité avant que tu en parles. Cela rejoint l’idée que les personnes qui te suivent ont tellement l’impression de bien de connaître que tu fais partie de leur cercle d’ami·e·s. Elles partagent tes journées (enfin, ce que tu veux bien en montrer sur les RS) et s’inquiètent quand tu prends du temps pour toi, dans la vraie vie…
Ouf, je ne suis pas assez célèbre pour que ça m’arrive !!
Trêve de plaisanterie, j’ai exactement le même ressenti que toi quand je lis les commentaires sur les comptes de certaines blogueuses populaires. Tu as très bien mis tout ça en mot !
Merci pour ton retour.
Je trouve ton article vraiment très juste!
merci pour cet article qui, comme d’habitude amène à réfléchir ! Que ce soit les marques ou les fans, ils oublient parfois qu’effectivement les blogueuses ont autre chose à gérer que leur blog… et leur communauté… et oui les blogueuses ont aussi une famille ! D’un côté c’est vrai que sans communauté ou sans lecteur, nous ne serions pas ce que nous sommes, mais de là à se faire insulter par manque de réponse… comment dire cela me dépasse. L’auteur dont tu parles est très proches de ses fans, elle donne énormément… et ce que tu expliques dans ton article de BFF c’est vraiment ça, certains se sentent trahies par une absence de réponse car il se pensent et se veulent être quelqu’un de spécial pour l’auteur… La vérité fait mal et à qui la faute… trouver un juste milieux est dur… Influencer les autres mais ne pas apprécier que les autres fassent tout comme nous… un sacré paradoxe 😉
Oui, trouver un juste milieu est difficile…
Comme toujours, les mots justes de ta part, ici pour décrire les RS et leurs « travers » …
Personnellement, je pense vraiment injuste la réaction de certains vis-à-vis de cette auteure qui reste, je trouve, au plus près de sa communauté et de ses lectrices.teurs 🙁
Ce d’autant plus qu’elle avait bien expliqué les raisons de son attitude aujourd’hui et que je m’étais dis qu’elle était d’autant plus loyale et touchante.
Ca fait peur de telles réactions …
Il faut savoir prendre du recul et se dire que ce n’est pas parce qu’on échange de manière régulière sur les RS avec une personne que l’on suit que cette dernière est notre amie et qu’elle se pointera chez nous à 3 h du matin si on en a besoin…
je viens tout juste de tomber sur ton article par hasard et j’adore ! tu as su mettre en mots les aléas des blogueuse dans le merveilleux monde de la blogosphère !
Merci beaucoup et bienvenue par ici 😉
ça va, je suis sauvée, je suis loin d’être une star mais je comprends tout à fait cette promiscuité dont tu parles. Je faisais la réflexion à une amie qui est aussi blogueuse que ce monde n’est pas là pour combler son sentiment de solitude. Que les filles ne sont pas ses amies, on a rapport cordial, on va tisser des liens, mais attention ça a certaines limites. Et j’en ai vu plus d’une qui vivaient uniquement dans ce monde, malheureusement pour la plupart ce sont des personnes ayant peu de vie sociale à côté. Je découvre ton blog petit à petit je continue l’exploration.