Un vendredi soir, en prenant le RER pour rentrer chez moi, mon regard a été attiré par une scène que j’ai mis du temps à comprendre.
Une femme d’une cinquantaine d’année était près de la porte avec trois enfants. Ils devaient être âgés de 12 ans, 14 ans et 16 ans je dirai. L’aînée était une fille et elle était juste à côté de celui de 14 ans.
Le 14 ans commence à grommeler quelque chose que je ne comprends pas.
Aussitôt, sa sœur relève la capuche du sweat-shirt qu’il porte et la met sur sa tête, le tourne contre les parois du RER et le serre de très près. La femme qui les accompagne se rapproche de lui également et colle son corps au sien. Le 12 ans reste un peu en retrait mais surveille ce qui se passe devant lui.
Quelques minutes plus tard, la jeune fille tire doucement sur la capuche du 14 ans et demande : « Il est là prénomdujeunehomme ?« . Pas de réponse. Elle recommence et là, il lui répond mais je ne comprends pas ce qu’il dit.
La jeune fille lui sourit, lui retire sa capuche et le tourne vers le wagon. Le tout se passe sous le regard plein d’amour et de tendresse de la femme qui les accompagne. J’ai supposé à ce moment là qu’elle était la mère de ces enfants.
Le 14 ans semble faire un malaise, il a le visage très pâle, et un long râle sort de sa bouche.
Aussitôt, le jeune fille lui remet la capuche sur la tête, le tourne vers la paroi et se colle à lui, suivie par la mère. Je ne comprends pas ce qui se passe. Je reste un peu interloquée par ce que je viens de voir et je me demande bien pourquoi elles réagissent de la sorte avec lui.
A nouveau, la jeune fille demande au 14 ans s’il est là et quand il répond, lui retire la capuche et le tourne vers les autres. Je le regarde et découvre de nombreuses cicatrices sur son visage en plus de son extrême pâleur. Lorsqu’il commence à tituber de nouveau, une jeune femme se lève et propose à la jeune fille de l’asseoir à sa place. La mère la remercie et la jeune fille va installer le 14 ans sur le fauteuil en face de deux autres personnes.
Je continue à observer la scène et je réalise que ce garçon est en situation de handicap mental.
Je ne saurai dire lequel parce que je n’y connais pas grand chose au handicap mental.
A l’école, je n’ai jamais été dans la même classe qu’un enfant en situation de handicap physique ou mental. Dans ma vie étudiante non plus ou alors sans le savoir. Dans ma vie professionnelle, très peu que ce soit dans le cadre des accompagnements ou mes collègues. Je n’ai pas suivi de formation, je ne suis pas thérapeute ni éducatrice spécialisée.
Au risque de choquer, je ne sais absolument pas quelle attitude adopter dans ce genre de situation. J’ai peur que mon regard soit interprété comme du voyeurisme. Dans le cas présent, que mes sourires à la maman ou au 12 ans soient trop plein de compassion et mal pris.
Changer de regard sur le handicap mental
En sortant de la rame, j’ai pensé à ma copine Olivia du blog The Yiayia Little World et à son frère, Hugo.
Sur son blog, elle parle de l’autisme, sans détour. Elle essaie d’informer et de sensibiliser les personnes sur cette forme de handicap. N’hésitez donc pas à aller lire ses articles.
J’ai aussi pensé à cette maman qui avait témoigné sur le blog pour parler de son quotidien avec un enfant en situation de handicap mental. Comment ressent-elle le regard des autres dans ces situations ? De quoi aurait-elle envie ou besoin dans ces moments ? Qu’est ce qu’elle attendrait des gens autour d’elle ?
Alors je lui ai posé la question en me disant que si cela peut m’être utile à moi, cela pourrait l’être pour vous aussi.
Emmanuelle, mère de 3 enfants dont un en situation de handicap
Tu t’attaques à un sujet où il y a autant de ressentis que de parents d’enfants en situation de handicap soumis au regard des autres. Et le regard est encore différent quand il s’agit de handicap mental car c’est quelque chose qui fait peur aux gens. En tant que parents concernés on en est conscient.
En ce qui me concerne, quand mon fils était tout petit, je redoutais ce regard. Tout ce que j’avais eu depuis ses 2 ans n’étaient que des remarques désobligeantes.
Ce que j’attendais des gens, c’était un regard bienveillant, un sourire.
Ça me redonnait confiance en moi en tant que maman. Je n’ai jamais pensé qu’il s’agissait de sourire de pitié Et quand bien même cela voulait signifier « Ma pauvre, comme ce doit être difficile, je vous plains » et bien oui c’est la vérité, c’est difficile alors ils ont bien raison de le penser.
Il y avait juste une petite phrase qui m’agaçait sans me mettre en colère. Ce ‘Vous avez du courage » me gênait parce que non, je n’ai pas plus de courage que les autres mamans, je n’ai juste pas le choix !
On ne m’a pas laissé le choix quand mon enfant est né. Je fais juste ce qui est bon pour mon enfant comme n’importe quel autre parent le fait pour le sien avec ou sans handicap.
Il y a autant d’opinion sur le sujet que de parents concernés.
Je sais que certains autres parents ne supportent pas qu’on regarde leur enfant. Moi, ça ne me gêne pas. La curiosité est le propre de l’être humain.
Je préfère quelqu’un qui s’interroge que quelqu’un qui détourne les yeux.
Ça me fait le même effet quand j’entends des gens dire que les enfants avec un handicap mental ne doivent pas être dans les mêmes écoles que les enfants « normaux ». Vite cachons les, parquons les loin de nos yeux, on pourra se convaincre qu’ils n’existent pas.
Je crois que ce que j’attends des gens c’est qu’il ne jugent pas notre enfant parce qu’il ne joue pas un rôle. Il est lui. Il n’a pas le choix lui non plus et personne n’aime être jugé.
J’attends également qu’ils ne me jugent pas en tant que parent.
Quand on débarque dans le monde du handicap mental (et en l’occurrence pour nous dans l’autisme), on n’a pas de mode d’emploi. Nous avons du attendre ses 10 ans pour avoir le diagnostic d’autisme Asperger. Jusque là on a fait comme on a pu.
Le jour de l’annonce on nous a dit : « Voilà il est autiste Asperger merci au revoir ». Quand j’ai demandé des conseils on m’a dit « Oh ben continuez comme vous faites et lisez le livre Asperger qu’est ce que c’est pour moi« . On est perdu, on n’a pas de repère, on se sent abandonné par la médecine.
C’est pour cela que le jugement des autres est très douloureux. Parce qu’ils pensent qu’on ne fait pas ce qu’il faut ou pas assez alors qu’on a nous même pas les clés.