Oh, ça va, c’est une fille qui t’a frappé !
Mercredi, 13 h 30. Je récupère mon fils de 9 ans 1/2 à la sortie de l’école. Il passe devant un petit groupe et jette un regard furtif à une des fille présente. Elle le fixe, échange quelques mots avec les autres avant d’éclater de rire, suivies par ses copines.
Mon fils baisse le regard, rentre la tête dans ses épaules et me rejoint en pressant le pas. Quelque chose ne va pas, je le vois à son air triste et son attitude. Alors je demande :
– « Ça va Loulou, ça s’est bien passé ce matin ?
– Ben, moyen…
– Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu t’es fait gronder par la maîtresse ? Tu n’avais pas appris ta leçon ? Pas fait tous tes devoirs ?
– Non, c’est Cendrillon*… Je m’amusais avec Geoffroy*, on se courrait après. Elle est venue jouer avec nous mais Geoffroy* l’a faite tomber. Elle lui a couru après pour le taper et après, je sais pas pourquoi, elle est venue derrière moi, elle m’a attrapé par le col. J’ai entendu « crac », je crois qu’elle a déchiré mon t.shirt mais tout de suite après, elle m’a frappé très fort et j’ai eu très mal. Regarde, j’ai encore la marque de sa main ! »
En effet, il tire sur le tissus de son t.shirt pour me montrer son épaule où on voit distinctement les traces d’une main. Je pense « La vache ! Elle a dû frapper fort !« . Il continue :
-« Elle m’a fait vraiment mal et j’ai pleuré. Mais quand je lui ai dit, elle m’a demandé si je voulais qu’elle me tape encore alors j’ai voulu le dire aux animateurs.
– Tu as bien fait mon cœur. Et qu’est-ce qu’ils ont dit les animateurs ?
– Bah, je ne leur ai pas dit. J’avais peur qu’ils se moquent de moi et me disent que c’est pas grave parce que c’est une fille qui m’a tapé.
– Tu penses qu’ils auraient dit ça ?
– Je ne sais pas… »

By Erika
Comment réagir quand une fille frappe un garçon à l’école ?
J’étais assez perplexe sur le coup et j’avoue, je n’ai pas su quelle était la solution la mieux adaptée face à cette situation. Faire demi-tour et aller discuter avec la fille en question ? Lui demander le numéro de téléphone de ses parents pour discuter avec eux ? Mettre un mot dans le cahier de liaison en rentrant pour prévenir la maîtresse ? Laisser couler ?
Je fais partie de cette génération à qui on a dit et répété « On ne frappe pas une fille ! » parce qu’une fille, dans l’inconscient collectif, c’est doux, c’est gentil, c’est fragile… Mais une fille, ça ne doit pas frapper un garçon et quand ça arrive, ben, on est bien embêté-e-s pour savoir comment réagir !
En même temps que j’écris ces lignes, je pense aux commentaires que cet article pourra susciter : « Ah, mais tu vois que la violence des femmes envers les hommes existe… Tu vas encore dire que les hommes battus sont peu nombreux mais quand ça concerne ton fils, tu réagis !… Ça commence à l’école et ça va continuer plus tard, les femmes sont des castratrices dès le plus jeune âge…« . Mais là, voyez-vous, je ne vais pas entrer dans ce débat. Je n’ai jamais nier l’existence des hommes battus et je pense qu’ils sont sous-estimés dans les statistiques. Mais, force est de constater qu’ils sont bien moins nombreux que les femmes à être victimes de violences (même si peu portent plainte) et je vous invite à consulter les statistiques sur le site de référence « Stop Violences ».
Bref, cette histoire a quand même fait du chemin dans ma tête. La violence, je connais. Le harcèlement scolaire aussi. Est-ce qu’on peut parler de violence avec ce qui s’est passé ce jour là à l’école ? Oui, je le prends comme tel parce que mon fils a été blessé : la marque rouge de la main de Cendrillon* et les autres filles qui se sont moquées de lui. Ça lui a fait mal donc c’est une forme de violence.
Je pourrai m’arrêter là et me dire qu’après tout, ce sont des enfants, qu’ils jouaient et que Cendrillon* a fait mal à mon fils. Point barre. Pas la peine d’en faire toute une histoire et encore moins de venir m’épancher sur mon blog pour si peu de choses.
Sauf que quelque chose me gêne dans le fait de laisser faire et de ne rien dire. Sans trop entrer dans les détails, Loulou a déjà connu de très mauvais moments à l’école maternelle. Il se faisait frapper par ses petits copains de classe mais comme nous ne voulions pas qu’il se batte, il se laissait faire. Il a commencé à faire des cauchemars, à avoir mal au ventre en allant à l’école, à se renfermer… Nous avions pris rendez-vous avec le directeur de l’établissement et nous avons compris qu’il souffrait. Nous l’avons alors autorisé à se défendre. Pas à donner des coups en premier, non, mais à se défendre. Montrer qu’il ne se laisserait plus faire. Montrer que si un enfant lui donnait des coups, il serait capable de les rendre. Il a retrouvé confiance en lui, son sommeil et son sourire.
Même s’il s’agit d’un événement isolé, je préfère prendre les choses en main tout de suite. Je n’ai pas envie qu’il vive à nouveau ces moments difficiles.
Trouver les mots pour parler des stéréotypes fille – garçon
En fin d’après-midi, j’ai glissé un mot dans la boîte à expressions en disant que j’aimerai bien parler avec Loulou de ce qui s’est passé à l’école à condition qu’il en ait envie, lui aussi. Du temps s’était écoulé et je ne voulais pas remuer le couteau s’il était passé à autre chose. Il était d’accord alors nous nous sommes isolés et avons repris le fil de la discussion.
– « Tu sais, Loulou, fille ou garçon, on ne tape pas les autres, on en a déjà parlé, tu t’es déjà suffisamment fait embêter comme ça quand tu étais à l’école maternelle et l’année dernière. Alors, si Cendrillon* t’a fait mal, ce n’est pas parce que c’est une fille qu’elle a le droit de le faire sans qu’on ne lui dise rien. Cela aurait été un garçon, qu’est ce que tu aurais fait ?
– Je crois que je l’aurais dit aux animateurs ou je me serais défendu…
– Et comment auraient réagi les animateurs ?
– Ils nous auraient demandé ce qui s’est passé. On se serait expliqué et on aurait proposé des solutions pour ne pas que ça se reproduise. Après, le garçon, il se serait sans doute excusé et on aurait continué à jouer.
– Alors pourquoi ça ne serait pas la même chose avec une fille ?
– …
– Parce qu’on dit que les filles sont gentilles et qu’il ne faut pas les taper ? Que les garçons font la bagarre et sont méchants ?
– Oui, mais il y a des filles qui tapent et des garçons qui sont gentils !
– Voilà, c’est ça Loulou. »
Pourquoi est-ce que je parle de ça ?
Parce qu’on est encore dans une vision très stéréotypée du rôle des filles et des garçons dans notre société. Parce que, dans l’inconscient collectif, on en est encore à l’image de la petite fille modèle qui ne se bât pas, qui ne va pas savoir se défendre parce qu’elle est douce et gentille. Parce que c’est le rôle des garçons d’être forts et virils et défendre les « faibles filles » face à un adversaire.
Et bien non, de nos jours, les petites filles se battent, se roulent dans la boue, font du skate et jouent au foot. Les petits garçons pleurent, jouent à la poupée et à la dinette…
Je suis bien loin de cautionner toute forme de violence. Je ne demande pas à mon fils de se battre mais de se défendre.
Ma crainte ? La même que la sienne. Qu’on lui dise que ce n’est pas si grave que ça, qu’après tout, c’est « juste » une fille qui l’a frappé. Qu’on se moque de lui parce qu’il s’est laissé faire.
Mais en même temps, est-ce qu’il n’aurait pas été punit s’il avait répondu au coup de Cendrillon* en la bousculant ? Parce que Cendrillon* a le droit, elle aussi, d’aller voir les animateurs si mon fils lui fait mal. Quelles seraient les conséquences pour ce dernier alors que j’ai moi-même cette idée reçue bien ancrée dans ma mémoire : On ne tape pas une fille !
A ce jour, je n’ai pas de solution. Je ne veux pas que mon fils tape qui que ce soit. Je ne veux pas qu’il tape une fille. Je ne veux pas qu’il tape un garçon. Mais je ne veux pas non plus qu’un garçon ou une fille frappe mon enfant.
Voilà pourquoi j’ai rédigé ce billet. Pas pour me plaindre. Pas pour faire passer mon fils pour une victime. Pas pour incriminer qui que ce soit. Non, pour faire réfléchir…
Pour faire réfléchir à ce qui nous pousse à vouloir protéger nos enfants mais en nous mettant des barrières liées à des stéréotypes que nous traînons comme de gros boulets.
EDIT EN DATE DU 27 MAI 2016 :
J’ai expliqué la situation au responsable des activités périscolaires (sans donner les noms des enfants concernés) pour avoir son retour sur la remarque de mon fils. Il m’a indiqué que ce genre de situations étaient gérées au cas pas cas, peu importe qui a commencé, peu importe que les bagarres concernent des filles ou des garçons. Ce qu’il constate, c’est que certains garçons ne touchent pas les filles, d’autres au contraire rendent les coups. Il voit de tout mais si les enfants rapportent une situation, ils ouvrent le dialogue avec eux. Il reconnaît que certaines filles sont bagarreuses et qu’ils restent vigilants. 😊
Pour aller plus loin :
Le site du Réseau CANOPE qui propose des outils de sensibilisation à l’égalité filles-garçons à l’école : https://www.reseau-canope.fr/outils-egalite-filles-garcons.html
Le site Non au Harcèlement propose des outils en ligne pour comprendre et savoir comment réagir : http://www.nonauharcelement.education.gouv.fr/
Comment lutter contre les stéréotypes filles-garçons au quotidien : à relire ICI
* les prénoms ont été changés
Je trouves au contraire que c’est une excellente problématique et un très bon article !!!
Mon fils n’est pas encore en âge d’aller à l’école et allant chez une nounou, peu en contact avec d’autres enfants (seulement le RAM deux demi-journées par semaines) … je ne crois pas qu’il y ai de problème de violence dans un sens comme dans l’autre pour l’instant.
Mais, je sais qu’une fois à l’école, il sera confronté au problème et d’un coté, c’est « normal ». Le but, c’est justement de leur apprendre à ne pas avoir recours à la violence, se défendre s’il en sont victime et ce quelques soit l’agresseur …
Merci Mam’Weena. La violence pour répondre à la violence ne résoud pas grand chose alors je préfère de loin le dialogue pour mettre les choses au clair. Nous avons de la chance d’avoir une équipe enseignante et d’animation très à l’écoute des parents et des enfants qui propose toujours des solutions basées sur le dialogue et les explications 🙂
Je ne vois pas pourquoi tu laisserais passer ça « sous prétexte » que c’est une fille. elle ne doit pas taper les autres point. pas plus une fille qu’un garçon. tu as raison ! je pense que les animateurs doivent être mis au courant ! m’a l’air d’être une sacrée garce la petite cendrillon !
Je vais le rajouter en édit du billet. Je suis allée voir le responsable des activités périscolaires pour lui demander comment il aurait géré la situation si mon fils était venu le voir. Il m’a répondu que ce genre de choses arrive assez fréquemment et que tous les enfants ne réagissent pas de la même manière. Il y a ceux qui répondent aux coups, ceux qui ne vont rien dire, ceux qui vont le dire aux animateurs et animatrices. Lorsque cela se produit, en effet, ils réunissent les enfants et essaient de comprendre la globalité de la situation. Ils en parlent, trouvent des solutions. Un bon point pour l’équipe qui a, d’après ce que j’ai compris, suivi des sessions de sensibilisation à l’égalité filles-garçons 🙂
Pour Loulou, les choses sont claires maintenant comme elles l’ont toujours été : quelqu’un te frappe, tu te défends.
Tu as écrit un très bon article, j’ai bien aimé le lire. Parce que je partage ta position. Maintenant les filles ne sont plus les petits anges et les garçons les démons. C’est parfois à se demander si ce n’est même pas les filles les pires.
Mais dans l’opinion commune, si on peut dire ça comme ça, c’est toujours le cas « on ne tape pas les filles ». mais alors laissons les garçons se faire enquiquiner, taper etc.
Tu as une bonne position sur la chose mais après je comprends aussi les réticences sur le comportement à adopter. pour un peu que les animateurs soient en mode « opinion commune » ils ne feront rien et je suis certaine que dans ce statut là à certains endroits, ils iraient même se moquer de l’enfant. Quand toi tu éduques un enfant pour que des glandus te le déglinguent parce qu’il y a le « système », ça ne va pas du tout. Quand à en parler aux parents de Cendrillon… Si Cendrillon, outre le fait d’avoir tapé, enfonce le clou, c’est à se demander d’où ça vient !
De tout coeur avec ton petit bonhomme 🙂
Finalement, l’équipe éducative et encadrante des activités périscolaires a été sensibilisée à la question de l’égalité filles-garçons et nous avons pu discuter des questions que je me posais en toute tranquillité. Il a pu discuter avec Cendrillon et lui a fait savoir que les choses ne devaient pas se reproduire sinon, il se défendra. Voilà, c’est dit, tout le monde est prévenu 😉
On dirait que les mères féministes ont fait de leurs fils des efféminés…
Votre fils aurait dû oser se défendre contre cette fille, sans même craindre de se faire gronder (et alors ? et sa fierté ?). C’est votre éducation qui l’empêche de se défendre, comme cela lui était arrivé en maternelle.
Quel adulte va devenir ce bonhomme qui n’a pas la fierté de se défendre ? quelle fille sera attirée par un jeune homme qui aura appris à se laisser faire parce qu’il a peur de se faire gronder ?
Il serait grand temps de développer sa virilité au lieu de le faire jouer à la dînette et à la poussette.
Votre éducation est néfaste pour vos enfants, chère madame.
longtemps je n’ai pas voulu que mes enfants se battent. du coup, ils ne se défendaient pas… surtout mon grand. Et puis j’ai changé. Je ne suis pas forcément pour qu’ils se battent… je leur ai conseillé tout un tas de trucs avant d’en arriver là… mais en dernier recours… ben voilà quoi… je ne veux pas qu’ils se laissent faire…
Sinon… je trouve encore que c’est compliqué pour un garçon de jouer à la poupée… et ça l’est bien moins pour une fille de jouer au foot… encore une injustice.
Et oui, lutter contre les stéréotypes, les idées reçues, ça prend du temps. Maintenant, la consigne est claire : on te frappe, tu réponds. Sauf que les plus malins arrivent à retourner la situation et à dire qu’ils se sont fait frapper alors qu’ils n’ont soit-disant rien fait. Et là, je suis convoquée parce que Ti’Loulou se bât avec ses camarades 😉
Ah ! bravo, excellent article !
il faut apprendre aux enfants, dès le plus jeune âge, que la violence n’est pas tolérable (sauf pour se défendre) quelque soit le sexe, car c’est un problème que l’on retrouve plus tard.
Un homme ne porte pas plainte si il se fait tabasser par une femme, les bagarres homme/femme ou femme/femme sont de la science fiction pour certains etc etc…
C’est une injustice totale pour ces messieurs, et une certaine forme de mépris pour ces dames (les fragiles petites choses inoffensives).
(je me rappelle avoir été frappée, petite fille, par d’autres filles. La réaction du corps enseignant : « oh ça va ! ce ne sont que des filles ! » comme si…comme si les filles n’entraient même pas en ligne de compte).
Alors merci, merci de me donner l’espoir que les mentalités sont en train de changer (même si quand on lit le post d’Aurore, on se dit qu’il y a encore du chemin à faire…)
PS : je sais que je suis un petit peu en retard par rapport à la date de sortie de l’article, mais tant pis, il fallait que je réagisse 😉
Je suis encore plus en retard puisque je ne réponds que maintenant à votre commentaire. Merci beaucoup. Je suis contente de vous avoir redonné un peu d’espoir 🙂