Lorsque j’ai vu cette photo représentant Marie sous les traits de la Vierge Noire des Baux de Provence sur Facebook, j’ai été envahie d’une profonde tristesse. Mon cœur s’est serré et des larmes me sont montées aux yeux. Rien de divin dans tout cela, juste une phrase qui a resurgi du plus profond de ma mémoire :
Avec l’enfance que j’ai eue, c’est comme si je n’avais pas eu de mère. C’est auprès de la Vierge Marie que je trouvais du réconfort. J’avais l’impression qu’elle veillait sur moi comme aurait pu le faire une mère.
Cette phrase, je l’ai entendue alors que nous étions dans cette si jolie réplique du Sacré Cœur de Balata. Mon père venait de déposer un cierge devant la statue de Marie et semblait se recueillir. Pour la première fois, il me confiait, le regard triste mais plein d’amour et d’espoir, une partie de ce qu’il avait choisi de taire des années durant.
Sa voix tremblait et j’ai eu envie de le serrer très fort dans mes bras. Cette phrase, douloureuse à entendre, venait de lever le voile sur des années de mystère. Je comprenais, à demi-mots, pourquoi il entrait dans les églises, brûlait des cierges et se recueillait devant les statues de Marie alors que nous ne pratiquions pas de religion à la maison.
L’enfance de mon père pourrait faire passer celle de Jacou le Croquant pour un séjour dans un centre de vacances. Mais c’est son histoire, elle lui appartient et je n’en parlerai pas ici. Dans toutes les familles, il y a des secrets. Mon père avait le sien dont il nous a protégé-e-s pendant notre enfance.
Cette enfance qu’il n’avait pas vécue, il la voulait pour nous. Il a fait en sorte que le mot « famille » prenne tout son sens, que nous ne manquions de rien, que nous nous construisions de beaux souvenirs dont nous pourrions parler avec bonheur à nos enfants.
Ce n’est que des années plus tard, alors que nous étions tous devenus adultes, qu’il a commencé à nous parler de son enfance. Par bribes. Avec pudeur et retenue même si les larmes ne sont jamais loin quand il évoque ce sujet.
De son secret, il ne nous a pas encore tout livré. Peut-être ne le fera-t-il jamais. C’est son choix. C’est son droit.
Mais depuis qu’il nous a confié une partie de ses blessures, je comprends mieux pourquoi il prend tant plaisir à voir sa famille se réunir. Pourquoi il est si fier de ses enfants, de ses petits enfants. Un peu comme s’il tenait enfin une revanche sur son enfance, comme s’il avait réussi à mener à bien ce but dans la vie, celui de réussir là où d’autres ont failli.
Et parfois, alors que nous sommes toutes et tous réuni-e-s autours de la table familiale, il se met en retrait et nous observe, un sourire sur les lèvres, les yeux brillants.
Quand je le vois comme ça, j’imagine que si son cœur pouvait projeter une lumière, elle inonderait la pièce de sa douce bienveillance. Elle se propagerait à toute la maison, à toute la ville, à toute la terre et elle monterait dans le ciel. Haut.Très, très haut. Jusque dans les étoiles et qui sait, peut-être jusqu’à celle dont il pense qu’elle a veillé sur lui…