Je vais vous raconter l’histoire d’une photo postée sur les réseaux sociaux et de ses interprétations par différents groupes de personnes.
Pourquoi ? Parce que je suis toujours très surprise de voir quelles proportions une simple publication est capable de prendre dans ce monde virtuel.
Au départ, il y a cette photo accompagnée d’un texte. Quand je l’ai vue, je l’ai interprétée d’une certaine manière. D’autres personnes ont eu des interprétations différentes. Il y a eu quelques échanges que j’appellerai « constructifs » mais hélas, beaucoup de haine déversée encore une fois.
Pourquoi les interprétations sont-elles différentes ?
Quand nous voyons une image, nous l’interprétons en fonction de notre sensibilité, notre vécu, notre histoire, notre éducation, nos valeurs. Nous n’avons pas la même interprétation que notre voisin ou notre voisine.
Ainsi, une même photo peut provoquer différentes réactions chez des individus différents.
Mais quelle est la bonne façon de voir et d’interpréter une image ? Est-ce que c’est la mienne ? La vôtre ?
Ma première envie était de vous montrer cette photo et le commentaire qui l’accompagne puis de vous laisser me dire quel message vous percevez. Parce que, c’est que font la plupart des gens sur les réseaux sociaux.
Une image qui interpelle donne souvent lieu à un commentaire immédiat. Un commentaire rédigé sans chercher à comprendre le contexte, lire les explications, les échanges.
Comme je le disais plus haut, votre réaction à chaud va sans doute être différente de la mienne et de celle des autres.
Comme je l’ai déjà dit, nous interprétons cette photo et cette légende au travers du prisme de nos valeurs, de notre histoire, de notre niveau de sensibilisation sur certains sujets.
Et là, nous sommes souvent confrontés à des interprétations différentes.
Ce que j’ai vu
Je me suis arrêtée à « Profitez-en, elle ne sait pas encore dire non !« . Dans ma tête, le raccourci a été rapide entre cette phrase et la notion de consentement.
Le consentement est le socle de toute relation basée sur le respect de l’autre, l’égalité des sexes. Et dans ce domaine, je suis assez sensibilisée.
L’absence de consentement est une forme de violence, notamment dans les cas d’agressions sexistes et/ou sexuelles dont sont majoritairement victimes les femmes. C’est donc au travers de ce prisme que j’ai interprété cette photo.
En plus, comme il s’agit de vêtements pour petites filles, cela m’a renvoyé à ces horribles histoires d’agressions sexuelles sur mineures. Ces « faits divers » où l’absence de consentement n’a pas été prouvé sur des gamines de 2 ans, 4 ans, 7 ans… Des gamines qui n’ont pas su dire « non », pas pu dire « non ».
Alors oui, cette phrase m’a choquée. Profondément.
Ce que certaines personnes qui me suivent sur IG ont vu
L’affiche est posée près de vêtements pour filles (non, ce n’est pas parce que c’est rose que je le dis, c’est juste par rapport à ce qui est mentionné sur la pancarte), certainement de moins de 2 ans puisque la mention « baby » apparaît sur les étiquettes.
Pour bon nombre de personnes, le message signifiait :
- Profitez-en, elle n’a pas encore 2 ans, elle n’est pas encore au stade du « terrible two » et du « non »
- Profitez-en pour l’habiller comme vous voulez, elle est encore petite et ne pourra pas refuser de porter les vêtements que vous aimez bien
- Profitez-en, vous pouvez encore choisir à leur place.
- Habillez-la comme vous en avez envie puisque les enfants ne peuvent pas encore rechigner.
Dans l’ensemble, elles étaient assez d’accord sur la formulation maladroite de cette pancarte. Mais elles avaient avant tout vu le lien avec cette période où les enfants vont refuser de porter les vêtements que les parents auront choisi.
Ce qui a été dit sur les réseaux sociaux
Comme vous devez vous en douter, dès qu’on parle de violences, égalité, stéréotypes, culture du viol… cela fait « débat » sur les réseaux sociaux.
Il y a celles et ceux qui interprètent également le double sens de la pancarte et trouvent ça malaisant. Celles et ceux qui comprennent que les parents peuvent en profiter pour habiller leurs bébés comme ils veulent. Et puis, il y a également tous ces autres commentaires…
J’ai une nouvelle fois été très stupéfaite de la violence de certains messages, des propos haineux, des insultes déversées.
La discussion était ouverte avec certaines personnes là où d’autres sont directement passées « à l’attaque ».
Juste pour rappel :
Depuis août 2018, le cyberharcèlement organisé ( Attaques multiples d’une personne par plusieurs internautes : afflux de messages insultants et violents) est passible de 3 ans de prison et de 45 000 euros d’amende, même si chacun-e n’a pas agi de façon répétée et n’a envoyé qu’un seul message dans le cadre d’une opération de masse. ( A lire : https://www.stop-cybersexisme.com/que-dit-la-loi-1
[#CyberViolence] Comme dans le réel, l’injure sur les réseaux sociaux est punie par la loi. L’auteur risque 45 000€ d’amende et 1 an de prison si l’injure est raciste, sexiste, homophobe ou handiphobe. Si vous êtes victime, rendez-vous en commissariat pour porter plainte. pic.twitter.com/k3HCjHldDz
— Police nationale (@PoliceNationale) September 15, 2019
Ce qu’a voulu dire la personne qui a publié
La pancarte est posée près des vêtements pour filles.
Il n’y a aucune pancarte de ce genre au niveau des vêtements pour garçons.
Elle se posait donc la question de l’inégalité de traitement entre les filles et les garçons. Mais aussi la manière dont on considérait les enfants dès le plus jeune âge, notamment les petites filles.
Pour elle, un enfant ne pouvait pas être considéré comme une poupée dont les adultes pourraient profiter tant qu’il n’est pas en mesure d’exprimer son désaccord. C’est tout. Une inégalité dans la manière de considérer les petites filles et les petits garçons dans ce magasin.
Confronter ses idées et déplacer son regard sur les choses
Comme je vous l’ai dit, nous n’interprétons pas les choses de la même manière selon notre degré de sensibilisation sur certains sujets. Je suis imprégnée des violences faites aux femmes, de féminisme, d’égalité, de lutte contre les stéréotypes. Le regard que je porte sur les choses se fait donc souvent par ce prisme.
Mais, ce n’est pas parce que nous ne voyons pas les choses de la même manière que nous devons tout de suite entrer dans la confrontation, les jugements, la violence verbale.
C’est vrai, quand des personnes ont commenté « je pense que ça veut dire qu’on peut habiller notre fille comme on veut », j’aurai pu m’insurger à base de « Mais non, ouvrez les yeux, c’est de la culture du viol bandes d’abruti.e.s, allez toutes et tous vous faire sensibiliser sur ces questions et fermez-là !« .
Mais à quoi aurait servi cette violence dans mes propos ?
A rien de constructif.
Je n’aurai fait qu’alimenter un brasier. D’autres personnes seraient venues commenter, m’insulter, insulter celles et ceux qui auraient validé mes propos…
J’en serai arrivée à bloquer des personnes pour qu’elles n’accèdent plus à ma publication, signaler certains comptes, faire des copies d’écran et constituer un dossier de plainte « au cas où ça aille plus loin… ».
Tout ça pour quoi ? Une photo publiée sur les réseaux sociaux et des interprétations différentes.
Est-ce qu’on peut changer notre manière de voir les choses ?
C’est compliqué parce qu’on s’est toutes et tous construit.e.s à partir de ces valeurs transmises par notre éducation, notre environnement…
Mais, même si nous sommes convaincues par certaines choses, est-ce qu’on ne peut pas quand même faire preuve d’ouverture d’esprit ? Essayer de déplacer son regard pour voir et comprendre les interprétations des unes et des autres ?
En échangeant avec les autres, j’ai pu comprendre que là où j’ai vu de la culture du viol, certaines ont vu de la maladresse, de l’humour, des inégalités de traitement entre les filles et les garçons.
Et pour moi, elle est là la richesse des réseaux sociaux. Dans l’échange de point de vue, la discussion.
On peut ne pas être d’accord sur des sujets, avoir des points de vue différents mais essayer de comprendre celui de l’autre. Avoir cette ouverture d’esprit qui permet de confronter nos opinions dans le respect de l’autre et sans la moindre forme de violence ?
Oui, je sais, je ne vis pas dans un monde de Bisounours…