L’école est finie, une nouvelle vie commence…
Aujourd’hui, c’est mon dernier jour d’école ! La dernière fois que j’emprunte ce chemin pour rejoindre mes camarades de classe. La dernière fois que je pourrai jouer avec eux en attendant que le maître nous appelle pour nous faire rentrer dans l’école.
C’est une petite salle de classe avec son tableau noir accroché au mur, près du bureau du maître. Différentes affiches sont posées ça et là sur les autres murs. : les tables de multiplications, une carte du monde, une carte de notre pays… Mais nous avons rarement l’occasion de lever le nez pour les regarder, nous sommes là pour apprendre et devons rester concentrés.
Je rejoins ma place. Un petit bureau et une chaise en bois. J’ai passé de longues heures assise ici, à écouter les leçons, à entendre le maître nous parler de toutes ces choses qui nous seraient utiles dans la vie. L’histoire, la géographie, les calculs, l’écriture, la poésie… Qu’est ce que j’aime la poésie ! J’en écris plein, tout le temps, sur des petits carnets que je garde précieusement dans mon cartable ou que je cache sous mon matelas à la maison. Avec les mots, je m’évade, de nouveaux horizons s’ouvrent à moi, je me sens transportée. Parfois, je fais lire mes poèmes au maître. Il trouve que j’ai du talent, me sourit et m’encourage à continuer. Il me dit que mon esprit ne doit pas être enfermé mais continuer à demeurer libre. Je ne sais pas trop ce qu’il entend par là mais j’aime bien quand il me sourit comme ça. Parfois aussi, j’ai l’impression qu’il est triste quand il me regarde mais je ne sais pas pourquoi. Peut-être qu’il s’inquiète de mon avenir depuis qu’il sait que je quitte cette école. Quand il a ce regard, je lui souris. Il me sourit à son tour et me reparle de mes poèmes. Je l’aime bien ce maître. Il va me manquer…
En fait, tout va me manquer. Mes camarades, cette salle de classe, ces repas que nous partageons le midi, ces jeux dans la cours de récréation… C’est toute une partie de mon enfance que je quitte ce soir. Quand j’ai dit à mes parents que cette école allait me manquer, ils m’ont dit que c’était une école pour les petits enfants et que je n’en suis plus une. C’est vrai, je suis une grande fille maintenant ! Ils pensent que je serais bien là où je vais aller et que c’est une très belle opportunité pour moi, pour notre famille. Ils me disent que c’est une chance pour moi et qu’il aurait été dommage pour nous tous de la laisser passer.
Les heures s’écoulent et le moment est venu de ranger mes cahiers et mes livres dans mon cartable. Ma gorge se noue et les larmes me montent aux yeux. Ce soir, l’école est finie. Je ne viendrais plus jamais poser mes fesses sur cette chaise en bois dans cette salle de classe au milieu de mes camarades. Je croise le regard du maître et je vois qu’il est triste lui aussi. Alors que tous mes camarades sont déjà dans la cours, près à reprendre le chemin de leur maison, je n’ai plus envie de partir. Je savais que ce moment serait difficile mais pas autant. Le maître s’approche de moi et me tend un petit paquet. Je l’ouvre. C’est un carnet de poésies ! Il me demande de le conserver bien précieusement et de continuer à faire vivre les mots dans ma tête. Son regard se remplit de larmes alors que les miennes roulent sur mes joues. J’aimerai le serrer fort dans mes bras mais la silhouette de mon père se dessine dans l’encadrement de la porte.
Il entre dans la salle de classe et, pour la première fois depuis bien longtemps, pose ses deux mains sur mes épaules en me fixant droit dans les yeux. Il me dit qu’il est temps de partir, que nous sommes attendus et que la route est longue pour arriver jusqu’à destination.
J’attrape mon cartable et adresse un petit signe de la main pour dire au-revoir au maître. Avant de quitter la salle de classe, j’inspire à fond pour remplir mes poumons de cette odeur si particulière. Ce mélange de craie, de bois, de papier, de crayons, de feutres… Cette odeur de la salle de classe ! L’odeur du savoir et de la connaissance…
En quittant cette école, je sais que je franchi une nouvelle étape de ma vie. J’ai 13 ans et ce soir, nous allons prendre la route pour être à l’heure demain. Pour le premier jour du reste de ma vie.
Ce soir, l’école est finie et demain, je me marie…
Pour en savoir plus sur l’importance de la scolarisation des jeunes filles, leur accès à l’école, je vous invite à lire :
- Le droit d’une fille d’apprendre sans peur : à télécharger ICI
- Le site de l’ONU sur la Journée Internationale de la fille (11 octobre) : ICI
- Le site de l’UNICEF : ICI
- L’article de Michèle BARZACH, Présidente d’Unicef France, sur le Huffington Post : ICI
- Le blog Malala YOUSAFZAI : ICI
- Le site de la Fédération GAMS (lutte contre les mutilations sexuelles et les mariages forcés) : ICI
- Le site d’Information et de Prévention des Mariages : ICI
- Le site belge Mon mariage m’appartient : ICI
- Brochure du Ministère des Affaires Sociales, de la Santé et des Droits des Femmes « Combattre les mariages forcés » : ICI
- La lettre de l’Observatoire National des Violences Faites aux Femmes « Mariages forcés, la situation en France » : ICI
Ceci était ma participation au rendez-vous #10dumois sur le thème « l’école est finie » !
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L’art de la chute… Merci pour ce joli texte très engagé… comme d’habitude. Ne change rien, Claire ! 🙂
Le chute est un art que tu maîtrises sur le bout des doigts ! Merci pour ce joli texte très engagé… comme d’habitude ! Ne change rien, Claire. 🙂
Merci beaucoup Pascaline. Je suis très touchée
Ton texte est très dur, très poignant. J’en ai les larmes aux yeux en pensant que c’est la triste réalité pour nombre d’enfants dans le monde :,(
Merci beaucoup
Après le « bad buzz » d’une association l’an dernier, j’avais envie de rappeler que des millions de petites filles n’ont pas accès à la scolarisation. L’une des raisons est le mariage forcé, une forme de violence à l’encontre des femmes. Si ce billet amène à y penser, l’objectif est atteint. Petit objectif mais une manière d’apporter une pierre à l’édifice.
Wouaow je ne m’attendais pas à cette fin.
« De battre mon coeur s’est arrété »
Tout est poésie et conte. En lisant j’avais vraiment l’impression d’être dans une salle de classe, j’avais juste à fermer les yeux , et j’y étais. J’ai même pu sentir l’odeur du bois et de la craie
La fin me rappelle un drame que nous avons pu lire dans les journaux ce derniers temps, mais elle , elle n’avait que 8 ans
8 ans… à peine…
merci claire pour ce texte, il remue beaucoup de choses en nous car fatalement, au départ, nous retrouvons la petite fille que nous étions puis on est glacée d’horreur. On sait que ça existe mais on y pense pas souvent…tout comme l’excision qui est aussi violence faite à la femme .
Merci Sandrine. Je vais ajouter un lien vers la Fédération GAMS qui lutte contre l’excision des femmes et des jeunes filles.
Ce texte est tout simplement superbe… on oublie trop souvent que certaines jeunes filles ne sont pas scolarisées, hélas …
Merci Mary. C’était l’occasion d’aborder ce sujet et d’en faire parler. Mais bon, de nos jours, si on ne fait pas un « bad buzz », ce genre d’article passe complètement inaperçu…
Très beau, comme d’habitude…Les larmes aux yeux tu m’as donné….
Bonsoir,
C’est un très beau texte. La chute est juste …. je ne sais que dire. Il faudrait qu’il soit lu par beaucoup de monde car je pense qu’il peut marquer fortement les esprits, il aura marqué le mien en tout cas.
Bravo.
Isabelle
Merci beaucoup Isabelle. Hélas, l’article à été peu vu et peu partagé. Mais même si 50 personnes seulement l’ont lu, ce sont déjà 50 personnes informées
Larmes aux yeux, elles sont encore si nombreuses ces petites à vivre ce calvaire… Bravo Claire, comme d’hab, ta plume est superbe. J’imagine bien certains de nos profs de collège ou lycée se pencher sur tes écrits ! Quelle fierté !
Merci Manou. J’ai toujours une pensée pour ce prof de français qui nous a poussées à aimer la littérature et le théâtre
arf… 🙁 ça me fait penser à ce reportage vu… ou des jeunes filles risquaient leurs vies sur le chemin qui menait à l’école… elles avaient toutes perdues des amies, violées, tuées… mais continuaient d’y aller… parce que l’école restait une chance… 🙁
L’école est une chance et on ne s’en rend pas vraiment compte quand on y accès comme nous.
Ah la la ton article est très touchant……. Trop de dureté dans ce monde 🙁
Merci pour ces mots,
Marie
Merci à toi pour ce retour
Quel texte poignant…et si douloureusement ancré dans la réalité ! Merci de l’aborder alors qu’il est si souvent tabou…
Il date un peu mais j’avais envie de parler à nouveau de ce sujet.
Dans le confort de nos vies occidentales, on oublie que notre Ecole avec tous ses défauts reste une chance, que nos lois avec tous leurs défauts protègent nos Enfants….
Tu as écrit un très beau texte, tres touchant qui vient soutenir une tres belle campagne.
Merci beaucoup
je ne connaissais pas ce billet. Il est si fort. Je vis dans le sud (presque est) depuis peu, ici la communauté gitane est très importante, et franchement en arrivant je n’avais absolument aucun préjugé, mais je ne savais pas non plus où je mettais les pieds. Et tout se passe bien, mais je réalise à quel point l’école semble complètement anecdotique pour certains … et les stats montrent qu’une fille sur 10 seulement accède au lycée. C’est vraiment un truc qui me bouleverse. Après je ne veux surtout pas faire de généralité parce que bien sûr les choses changent, les mentalités évoluent, etc. … mais cette stat est flippante… tout ça pour dire que le combat est loin d’être gagné, même ici ….
la période de l’été représente une période de grand danger pour les fillettes et les jeunes filles qui rentrent dans les pays d’origine des parents (excisions, mariages forcés…). Alors c’est bien d’en parler pour en faire prendre conscience et alerter
Que c’est beau… et triste.
Merci et bravo pour cet texte bien engagé <3
Marion