Voilà un billet que j’aurai du écrire depuis très longtemps ! Si vous avez déjà lu les articles de la catégorie « violences », vous connaissez mon parcours. Pour les personnes qui arrivent, je vous invite à les lire pour comprendre les mécanismes qui entrent en oeuvre dans le cadre des violences conjugales avant d’aller plus loin. Le cadre étant posé, je vais vous parler d’un sujet bien sensible au sein des couples : les violences économiques. Et notamment, pour reprendre les mots de Titiou Lecoq, comment je n’ai gardé que des pots de yaourts.
Différences sociales
Quand j’ai rencontré #celuiquimabousilléedelintérieur (il va falloir que je trouve un surnom plus court mais il ne me vient qu’un gros mot qui commence par co et finit par nard), nous étions tous les deux à la fac. Lui en droit, avec un studio et une voiture payés par ses parents plus le versement d’une somme tous les mois. Moi en psycho, en cité U avec une bourse.
Je ne manquais de rien, mais nous ne venions clairement pas du même (son père médecin très réputé et le mien travaillait dans une usine). D’ailleurs, la première fois que sa mère m’a vue et a appris que j’étais étudiante, elle m’a dit :
« Ah, tant mieux, je n’aurai jamais supporté que mon fils sorte avec une fille d’ouvrier ! »
LA MERE DE #CELUIQUIMABOUSILLEEDELINTERIEUR
Le ton était donné mais « l’amour » était sensé briser cette différence sociale.
Premières alertes
Malgré son « aisance financière », #CQMABDI (c’est plus court) était radin. Enfin, il était capable de dépenser sans compter pour une planche à voile, les clubs de golf mais pour toutes les dépenses du quotidien, il surveillait le moindre centime dépensé.
Quand nous allions faire les courses au supermarché, il échangeait des étiquettes, mettait des articles dans ses poches, récupérait des rouleaux de PQ dans des lieux publics…
A la maison, il épluchait le ticket de caisse et séparait tout ce qui concernait ses dépenses des miennes. Ainsi, je payais mes produits de toilette, mes tampons et serviettes hygiéniques, mon maquillage, les aliments que j’étais seule à manger. Idem pour la facture de téléphone et autres dépenses.
Comme il exigeait que je porte certaines tenues, des dessous sexy, des chaussures à talons hauts… il m’accompagnait dans les boutiques, choisissait les vêtements mais je devais tout payer.
Tout cela avait un coût que j’avais du mal à compenser malgré mes emplois saisonniers, la bourse, le soutien de mes parents. Mais je devais m’estimer heureuse car je n’avais pas de loyer à payer une fois que je me suis installée dans le studio avec lui.
Vous commencez à la voir venir la théorie des pots de yaourt ?
Quand j’ai commencé à travailler, il poursuivait ses études, toujours financé par ses parents. Nous avons déménagé et devions à présent payer un loyer à parts égales et conservé la règle du ticket de caisse.
Une fois diplômé, il est parti pendant quelques mois en éclaireur aux Antilles où nous avions le projet de nous installer. Il a trouvé un cabinet et une clientèle à racheter. Ses parents ont vendu le studio dans lequel nous avions vécu pendant nos études et fait un prêt pour lui permettre de s’installer.
Pendant qu’il coulait des jours heureux aux Antilles (je l’apprendrai plus tard), j’ai organisé tout le déménagement, l’état des lieux de sortie, la vente des meubles. J’ai pris en charge financièrement le coût lié à la traversée du container avec sa chaîne hi-fi et ses enceintes hors de prix, sa planche à voile, ses clubs de golf…
Au départ, nous étions logés dans un appartement meublé puis avons eu l’opportunité de vivre dans une maison. Nous avons récupéré quelques meubles par-ci, par-là mais acheté un lit, une télé, un réfrigérateur, un four…
Je n’avais pas fait attention au moment des achats mais tout était à son nom à part un fer à repasser et un sèche-cheveux. On ne fait pas mieux dans le cliché !
Une indépendance financière illusoire
Nous travaillions tous les deux dans son cabinet mais notre écart de rémunération était clairement différent . Lui à la tête, moi au plus bas niveau de salaire pour ne pas créer de friction avec les salarié.e.s en place. Je me suis tellement investie dans cette affaire que j’y passais mes journées et mes soirées.
Ainsi, je n’avais plus le temps de faire ni le ménage, ni de repasser ses chemises (ce qui me paraissait normal à l’époque), nous avons embauché une femme de ménage. Que je payais toutes les semaines.
Je faisais les courses en rentrant du boulot que je payais en intégralité. Il s’est acheté un 4X4 pour pouvoir se déplacer.
Nous avions un chat et un chien : je payais les croquettes et le vétérinaire. Il s’est inscrit dans un club de 4X4 et a racheté un Defender sur lequel il a fait installer quelques accessoires pour les sorties tous terrains.
Tous les meubles achetés via notre liste de mariage, dont ceux achetés chez un antiquaire A son nom bien sûr !
A lui le mobilier et l’immobilier, à moi les pots de yaourt
Il m’a fallu beaucoup de temps pour réussir à quitter cette relation toxique et cela s’est fait de manière assez brutale.
Si la situation avait été différente et que nous avions pu nous séparer autrement, nous aurions peut-être pu nous arranger pour que je conserve quelques meubles. Mais j’ai fui à 8 000 km de là. Je suis partie en emportant quelques affaires dans deux sacs. J’ai tout laissé derrière moi. Tout.
Il a tout conservé. Je n’avais même pas pris un pot de yaourt.
Je précise ici que je ne me suis pas retrouvée à la rue puisque j’avais un endroit où aller, des économies, une famille pour me soutenir. Ma situation aurait pu être bien pire. Mais mes économies ont fondu comme neige au soleil parce qu’il a bien fallu que je m’installe et achète des meubles, de l’électroménager, des fringues.
La violence économique, un contrôle insidieux
Pourquoi est-ce que je considère cela comme étant des violences économiques ?
Dans « Aux thunes citoyennes ! », Héloïse Bolle explique :
« Lorsqu’une personne vit avec un conjoint qui gagne beaucoup plus et impose de répartir les dépenses à 50-50, cela contribue à l’appauvrissement de la femme et bloque son enrichissement. »
C’est exactement ce que j’ai vécu.
Pour vous dire, lorsqu’il a reçu l’avis d’impôts l’année suivant notre séparation, il me l’a envoyée en me demandant de lui rembourser la moitié de la somme. Or, cette moitié de la somme correspondait à plus de 3 mois de salaire pour moi. Cela n’a pas été facile de lui faire entendre que je ne pouvais (et ne devais) pas payer ce qu’il me réclamait. Le recours à une association pour m’accompagner dans mes droits a été nécessaire. Une manière comme une autre pour lui de garder une emprise sur moi.
À l’époque, on parlait peu d’égalité financière dans le couple, de violences économiques, de violences psychologiques. Aujourd’hui, je sais à quel point il est nécessaire de poursuivre tout le travail engagé pour sensibiliser, informer, orienter les femmes.
Aujourd’hui : nouvelles règles, nouvelle vie
Avec mon mari, notre relation repose sur le dialogue, le respect et des valeurs communes. L’argent n’est pas un tabou. Certes, tout n’est pas toujours parfaitement équilibré, mais nous en discutons.
Je n’ai pas de conseil à donner sur la gestion de patrimoine, les comptes bancaires communs, la répartition des dépenses… mais je vous invite à réfléchir à tout cela. Lisez les différents ouvrages qui parlent de l’argent du couple, prenez conseils auprès des associations spécialisées sur l’accès aux droits ou des points d’accès aux droits pour mieux connaître les vôtres et vous protéger au cas où.
Car si les yaourts, c’est bon, avec des pots vides, on ne bâtit pas un avenir.
Et bien, je sais que ce genre de personne existe mais de savoir que tu l’as vécu m’ouvre un peu plus les yeux.. J’ai la chance d’avoir un mari comme moi, on mets nos salaires sur le même compte depuis le début et l’argent est à nous deux! 🙂 on ne se fait que rarement des cadeaux car quand on a besoin de quelque chose on se l’achète. Jamais il ne me fait sentir qu’il gagne plus que moi, et nous parlons de tout, même avec nos filles, il n’y a aucun tabou chez nous. Nous ne sommes pas parfait, mais heureusement je dirais, c’est ce qui fait notre richesse! 🙂
T
Merci de partager la manière dont cela se passe au sein de votre couple.
Tant que j’étais dans cette situation, je ne me rendais compte de rien. Il faut dire qu’il faisait en sorte de rendre les choses « normales » comme pour la femme de ménage à mes frais puisque je ne m’occupais plus de la maison, l’achat des vêtements pour lui plaire et éviter qu’il aille voir ailleurs comme il menaçait souvent de le faire… Avec toutes ces années de recul, la déconstruction des stéréotypes, les formations sur les violences faites au sein du couple, ça me tord tellement le ventre de me dire que j’ai accepté tout cela sans rien voir. Je sais bien pourquoi et c’est la raison qui me pousse à écrire sur cette période de ma vie. Si je l’ai vécu, d’autres sont en plein dedans alors peut-être qu’un jour elles tomberont sur cet article et se reconnaîtrons dans mon parcours.
Merci d’avoir partagé la manière dont cela se passe dans votre couple, c’est tellement plus sain et serein !
En pleine séparation, j’ai complètement compris le principe du pot de yaourt. Heureusement j’ai réussi à faire entendre certaines choses mais en effet ce n’est pas toujours simple.
Ce principe est tellement parlant qu’il faudrait mettre le livre de Titiou Lecoq entre les mains de toutes les femmes.
Se séparer sans y laisser de plumes paraît déjà difficile mais quand je vois également la charge financière des femmes en situation de monoparentalité, il y a là aussi beaucoup à dire et tellement de choses à faire évoluer.
Bon courage dans cette période pas facile