Tête baissée, les yeux fixant le sol, les mains tremblantes et le ventre noué, je me lance pour réciter la leçon de poésie apprise la veille.
Mais les mots ne veulent pas sortir de ma bouche. Un silence pesant s’installe dans la salle à tel point que j’entends ma respiration. Elle se fait plus rapide en même temps que mon rythme cardiaque s’accélère.
C’est le bazar dans ma tête, tout se mélange. Je bien sais qu’il dit non avec la tête mais qu’il dit oui avec le cœur. Tous ces couplets, je les connais. Oui, je le sais aussi qu’il dit oui à ceux qu’il aime mais il dit non au professeur.
Je n’ose pas lever la tête pour voir tous ces yeux rivés sur moi.
J’entends bien la voix de la maîtresse qui tente de m’encourager en récitant le premier couplet.
A cet instant précis, je me sens comme ce cancre de Prévert. Je suis debout et on me questionne. Mais je n’ai pas envie de rire, pas envie d’effacer ni les chiffres, ni les mots. J’ai envie de les retenir toutes ces dates et ces noms, ces phrases et ces pièges.
Comme souvent quand ça ne va pas, je commence à me balancer d’avant en arrière. Mes mains s’agrippent. Je ferme les yeux et le rythme de mes balancements me donne l’impression d’être bercé comme lorsque j’étais encore bébé. Comme souvent dans ces cas là, je ne veux plus être là, je veux disparaître.
Alors je ferme les yeux encore plus fort, je me balance encore plus vite. Les voix s’estompent autour de moi pour laisser place à un doux brouhaha. Je retrouve cette sensation d’être enveloppé de coton. C’est doux, c’est moelleux et confortable. Je me sens bien, à l’abri, enfin serein dans ce monde qui est le mien.
Les mots de la leçon de poésie deviennent des images en couleur.
Je vois ce petit garçon prendre les craies de toutes les couleurs et dessiner un arc en ciel sur le tableau noir. Il dessine des arbres avec des fruits rouges, des nuages dans le ciel et un soleil. Un énorme soleil qui vient m’entourer de ses bras et m’invite à me balader au milieu de ce paysage.
Tout est si calme ici que rien ne peut empêcher un sourire de s’afficher sur mon visage. Une force me pousse à m’asseoir alors je m’exécute en douceur. Je n’ai plus peur, je me sens en sécurité, je peux revenir à la réalité.
Lorsque j’ouvre les yeux, je suis assis à ma place. Un autre élève se tient debout devant le tableau noir et récite parfaitement sa leçon de poésie.
Je tourne la tête et mes yeux plongent dans ceux de Justine.
Avec ses longs et épais cheveux blonds, elle est belle comme le soleil et sa voix est douce comme les nuages dans le ciel. Justine, je l’aime beaucoup parce qu’elle est toujours gentille avec moi. Elle m’aide quand je vais à l’école. Je sais bien que c’est elle qui m’a ramené à ma place, comme souvent quand je pars loin dans mon monde.
Si j’avais le pouvoir d’être plus grand, je me marierai avec elle. Comme ça, je pourrai dire aux autres que Justine, c’est mon amoureuse au lieu de dire que c’est mon AVS…
La leçon de poésie aura-t-elle inspiré les différent·e·s participant·e·s au rendez-vous #10dumois ?
On se retrouve le mois prochain pour un nouveau thème !