Et voilà, c’est le grand jour, celui où je vais retrouver ma salle de classe. Ce n’est pas ma première rentrée et pourtant celle-ci marque une nouvelle étape dans ma vie alors me voilà que le trac m’envahit. Mes mains deviennent moites, ma gorge serrée, mon ventre se tord dans tous les sens…
Je respire profondément en me répétant « Ça va aller, courage !« . Cela ne me calme pas vraiment mais me rassure. Un peu.
L’heure tourne et il est grand temps pour moi de quitter mon appartement pour me rendre à l’école.
Je vérifie une dernière fois mes affaires. Dans ce cartable en cuir marron offert par ma mère lors de l’obtention de mon diplôme j’ai glissé deux cahiers, quelques stylos et crayons, une bouteille d’eau et une barre de céréales…
J’inspecte ma tenue, replace une mèche de cheveux derrière mon oreille, retire cette petite trace de rouge à lèvre qui a bavé. Enfin, j’enfile mes chaussures avant de franchir le pas de la porte et de me diriger vers l’école.
Le retour à l’école
Cette école, je la connais depuis plus de 10 ans. J’y ai fait mes premières armes devant une classe remplie de petits écoliers le regard fixé sur moi. Je leur ai appris la lecture et l’écriture. Je leur ai transmis mon goût pour les cultures différentes, les ai initiés à l’art, la peinture, la musique… avant de les voir partir vers le collège.
Je connais tout le monde dans cette petite école. La Directrice qui n’a pas changé depuis mon premier jour dans cet établissement. Le gardien qui ne m’adresse que très peu la parole tellement il est timide. Madame Lemoine qui enseigne aux CM1 et ne veut pas changer de classe. Monsieur Iglesia et son accent qui sent bon le soleil. Mathilde qui casse les codes et veut qu’on l’appelle par son prénom…
A mon arrivée dans la cour, c’est justement la souriante Mathilde qui m’accueille. Elle s’approche de moi, me prends dans ses bras avant de me demander si les félicitations sont de rigueur. Je ne sais pas trop quoi lui répondre, je ne m’attendais pas à cette question. Je me contente de lui sourire et pour la faire rire, lui chante que je me sens «Libéréééé, délivréééé, je ne mentirais plus jamais !!! ». Son rire raisonne dans toute la cour de récréation, faisant se retourner quelques élèves et parents déjà présents
C’est l’heure…
Madame la Directrice arrive et nous indique qu’il serait temps de regagner nos classes respectives au lieu de nous donner en spectacle.
Elle m’arrête et me demande comment je me sens. Je ne peux pas lui mentir, elle me connaît trop bien. Je lui indique que j’ai peur du regard des parents mais elle me rassure aussitôt. Elle est prête à prendre ma défense devant ces derniers. Si besoin, elle leur rappelera que j’enseigne dans cette école depuis de nombreuses années. Et surtout, que les changements dans ma vie privée n’auront aucune incidence sur mon professionnalisme.
J’ai envie de la serrer très fort dans mes bras mais je sens bien que ce geste serait déplacé, surtout en plein milieu de la cour d’école !
Ma salle de classe…
Je me dirige donc à l’intérieur du bâtiment. Cette année, ma salle de classe est à l’étage. J’aime l’odeur particulière qu’offre cet ancien bâtiment, ce vieux tableau noir et ses craies qui attendent bien rangées, la règle immense qui me servira à souligner la date et indiquer les lettres, ces pupitres alignés prêts à accueillir de nouveaux élèves avides de connaissances…
Je pose mon cartable sur le gros bureau en chêne, sors mes cahiers, mes stylos, ma bouteille. Je prends une profonde inspiration : l’heure a sonné, les enfants vont arriver.
Ils font leur entrée un par un dans la classe, tournent autour des pupitres avant de choisir celui qui leur semble convenir.
Je sens leurs regards se poser sur moi, certains me sourient, d’autres regardent leurs chaussures… C’est le moment où chacun se jauge, se teste, cherche dans le regard de l’autre de l’attention, du soutien, de la bienveillance. A cet âge-là, les enfants sont généralement assez étrangers aux histoires des grandes personnes. Ils ont bien entendu des choses à mon sujet mais les ont oubliées avec les vacances d’été, enfin, pour la plupart d’entre eux.
Nouvelle année pour une nouvelle vie
Maintenant qu’ils ont pris place, je ferme la lourde porte de la salle de classe. J’éclaircis ma voix et me lance dans le discours de bienvenue. Je leur rappelle les règles de cette école « de grand », les mains qu’il faut lever pour prendre la parole, de la politesse envers les adultes mais également tous les enfants de cet établissement, des heures de récréation…
Je me tourne alors vers le tableau et de ma plus belle écriture en cursive, indique la date du jour. Puis, au milieu du tableau, je commence à noter mon nom en leur épelant : L.U.C. je marque un temps d’arrêt… Ils ne voient pas qu’un grand sourire illumine mon visage alors que je reprends « I.E. ».
Je leur fais face, je comprends bien à leur regard qu’ils tentent de déchiffrer les signes sur le tableau alors je reprends avec eux «Je m’appelle Lucie Charbonnier ! Bienvenus dans ma classe les enfants !».
Les entendre répondre en cœur « Bonjour maîtresse » fait retomber toute la pression que je ressentais depuis ce matin, je me sens légère, heureuse. Ma gorge se noue et des larmes seraient prêtes à couler le long de mes joues si je n’arrivais pas à me ressaisir aussitôt.
Après toutes ces années de lutte, de honte, de rejet, de secret, je me sens bien dans cette salle de classe. Je me sens sereine face à ces enfants dont l’innocence me réconforte et me redonne confiance en l’avenir. Je suis là, à ma place et je suis prête à affronter cette nouvelle année qui s’annonce pleine de nouvelles choses…
A commencer par ce prénom que j’ai enfin le droit d’utiliser depuis cet été, depuis que le Tribunal a reconnu que mon changement de sexe était irréversible…
Et maintenant, c’est à vous !
Ceci était ma participation au rendez-vous #10dumois sur le thème « Dans la salle de classe ». Vous pourrez laisser vos liens de participation en cliquant sur le bouton « Add your link » ci-dessous