You are currently viewing Je n’ai rien oublié #10dumois

Je n’ai rien oublié #10dumois

Cela faisait un long moment que je l’observais et elle commençait à sentir le poids de mon regard qui pesait sur elle. Je ne m’attendais absolument pas à la voir ici, dans ce restaurant que je fréquente souvent. J’y ai mes habitudes et je pense connaître la plupart des personnes qui viennent y dîner, en couple ou en famille. A son tour, elle me jetait des petits coups d’œil furtifs. Sans doute ses bonnes manières l’empêchaient-elle de me fixer plus longtemps. Plus je la regardais et plus mes souvenirs devenaient clairs et précis. Peut-être m’avait-elle effacée de sa mémoire, mais moi, je n’ai rien oublié. Non, rien du tout.

Je n’ai rien oublié Mathilde

Comme le consacre l’expression, Mathilde était le genre de fille à qui on aurait donné le bon Dieu sans confession. Lorsque je l’ai rencontrée, j’ai tout d’abord remarqué sa silhouette élancée, ses longs cheveux qui tombaient en boucles blondes le long de ses épaules et ses yeux verts en forme d’amande. Elle avait le visage d’un ange tombé du ciel et son sourire a aussitôt illuminé mon visage triste.

Sa main tendue vers moi, elle m’a aidée à me relever alors que les autres élèves du collège continuaient de se gausser comme des truies.

Elle m’a conduite dans un coin de la cour, loin du tumulte provoqué par cette rixe que je venais de subir contre mon gré. Je n’avais pas de blessure sur le corps mais bel et bien des bleus à l’âme et ma confiance en moi avait fait ses bagages.

Mathilde m’a souri et posé ses mains sur mes épaules en me disant que maintenant, je n’étais plus seule. Nous nous sommes dirigées vers le bureau du Principal et Mathilde a pris les choses en main. Elle a décrit les humiliations, les moqueries, les croche-pieds, les coups, les intimidations.

Dès le lendemain, mes harceleuses étaient convoquées dans le bureau du principal et exclues pour quelques jours.

Les années collèges

Mathilde et moi sommes devenues inséparables depuis ce jour. A ses côtés, j’ai repris confiance en moi, retrouvé le sourire et la joie de vivre.

J’allais souvent dormir chez elle et nous passions de longues heures à discuter et rire. Nous mettions la musique à fond et nous prenions pour des stars de la chanson en hurlant des paroles que nous ne comprenions même pas.

Souvent, elle me poussait sur le lit et se jetait sur moi pour me faire subir une longue séance de chatouilles. Je me tordais dans tous les sens sans vraiment me débattre et nous terminions allongées l’une à côté de l’autre, à bout de souffle tellement nous avions crié et ri.

Nous partagions le même lit et je mentirai si je disais que la chaleur de son corps me laissait indifférente.

J’avais envie de passer ma nuit collée à elle, de la prendre dans mes bras et l’embrasser.

Parfois, pendant la nuit, je la sentais qui se collait à moi, sentait mes cheveux et mon odeur. Sa respiration était profonde mais lorsque je me retournais pour lui faire face et l’embrasser, elle reculait d’un bond.

Alors je m’étais dit que Mathilde n’était pas le genre de fille qui aimait les filles et je n’ai plus jamais jamais rien fait. J’avais trop peur de la perdre.

Souvent, en classe, je l’observais comme je le fais maintenant dans cette salle de restaurant. Voir la forme arrondie de ses seins dans l’échancrure de son débardeur me troublait toujours énormément.

Plus les mois passaient, plus j’avais envie de lui avouer mes sentiments.

Je rêvais qu’elle m’avoue ressentir la même chose et fasse voler en éclat tous ses principes, son éducation, sa bonne famille. J’attendais, j’espérais, je guettais le moindre signe de sa part qui aurait pu trahir ses sentiments à mon égard. Quelque chose au fond de moi me disait qu’elle m’aimait mais elle prenait soin de garder ses distances. Elle me prenait la main et plongeait son regard dans le mien et puis, l’instant d’après, elle reculait. Ses lèvres s’approchaient des miennes et soudain, elle changeait d’attitude… Je ne savais pas sur quel pied danser, si je devais me laisser aller à espérer ou me faire une raison définitivement.

Je n’ai rien oublié de ce sentiment trouble qui me gagnait de jour en jour et me faisait perdre le sommeil et la raison.

La séparation…

A la fin de l’année de 3ème, nous avons appris dans quel lycée nous étions affectées. A ma grande surprise, Mathilde fut acceptée dans un grand lycée privé situé dans une grande ville voisine. Pour ma part, j’étais affectée au lycée public comme la plupart des autres élèves de ma classe.

Lorsque je suis allée voir Mathilde pour lui demander des explications, elle a fondu en larmes. Ce n’était pas son choix m’avait-elle raconté mais celui de ses parents. Ils souhaitaient qu’elle mette fin à ses mauvaises fréquentations, c’est à dire moi. Soit disant, j’avais une mauvaise influence sur elle et cela se ressentait sur ses résultats scolaires. Souhaitant le meilleur pour leur fille, ils avaient décidé de l’inscrire dans ce lycée, en internat. Elle ne reviendrait que les weekend et n’avait plus alors l’autorisation de me voir.

Je me suis à mon tour effondrée.

La nouvelle a été dure en encaisser parce qu’inattendue et tellement injuste. De nous deux, Mathilde était la plus dévergondée. C’est elle qui volait des petits objets dans les magasins, piquait en douce les cigarettes de sa mère, envoyait des cailloux sur les carreaux des voisins aigris.

Je ne voulais pas qu’elle parte dans cette ville voisine, qu’elle aille en internat.

Je lui ai alors proposé de refuser ce que lui imposaient ses parents, de s’enfuir avec moi… mais elle n’en avait ni la force ni le courage.

Elle est partie en vacances début juillet et à partir de ce jour-là, je n’ai plus eu aucune de ses nouvelles. J’ai passé mon été à pleurer avec cette impression que quelque chose était mort à l’intérieur de moi. Et puis, j’ai commencé les cours au lycée, j’ai eu mon bac, je suis partie faire mes études. La vie a poursuivi son cours et Mathilde restait ce merveilleux souvenir de jeunesse.

Jusqu’à ce jour

Son visage avait peu changé, il était toujours aussi doux. Ses boucles blondes étaient maintenues dans un sage chignon tombant. Elle portait un de ces tailleurs qu’elle aurait traité de « tenue de mémère » dans nos jeunes années. L’homme a ses côté était très élégant dans son costume trois pièces. A côté d’eux, trois enfants mangeaient avec une délicatesse que je n’avais jamais eue l’occasion de voir dans mon entourage.

Sans que je m’y attende, Mathilde a délicatement saisi la serviette rouge qui était posée sur ses genoux. Du bout des doigts, elle a tapoté ses lèvres recouvertes de ce qui semblait être le même « Rouge Baiser » qu’elle empruntait à sa mère. Elle s’est redressée, a ajusté sa jupe et tiré un peu sur le bas de sa chemise blanche en adressant un mot à sa famille.

Elle s’est approchée de moi d’un air bien décidé et sûr et a engagé la conversation :

« Me permettez-vous de m’asseoir quelques instants ? – m’a-t-elle demandé sur un ton que je ne lui connaissais pas

– Bien sûr – ai-je bafouillé

– Est-ce que vous pouvez cesser de me fixer de cette manière ? Cela me met très mal à l’aise et mon époux ne va pas tolérer vos manières bien longtemps.

– Mathilde…

– Ne m’appelez pas par mon prénom je vous prie. Je suis Madame De Beaumanière et mon époux ne tolérerait en aucun cas ce manque de respect. Maintenant, je vais me lever et vous prierai de me laisser tranquille. »

A aucun moment le ton de sa voix n’était monté. Elle s’est relevée lentement en me jetant un dernier regard avant de me tourner le dos et rejoindre la tablée familiale.

J’avais le souffle coupé tant je ne m’attendais pas à cette situation.

J’espérais qu’elle me reconnaisse, que nous échangerions quelques mots sur nos vies, le passé.

Quelle douche froide ces quelques paroles…

Mathilde était devenue Madame de Beaumanière et elle venait de clore définitivement un chapitre de ma vie.

J’ai appelé le serveur, demandé l’addition, réglé et me suis levée pour partir. C’est alors que mon regard a été attiré par un bout de papier posé sur la chaise sur laquelle Mathilde était assise quelques instants plus tôt. J’ai levé la tête vers elle et son regard a plongé dans le mien l’espace d’un court instant. J’y ai lu la peur et ça m’a glacé le sang. Alors, de la manière la plus discrète possible, j’ai récupéré l’enveloppe qu’elle avait laissée discrètement en partant.

Je suis sortie du restaurant sans lui adresser le moindre regard et dès que je fus assez loin pour ne plus être visible, je me suis adossée à un mur et j’ai ouvert l’enveloppe :

« Juliette. Cela fait des mois que je cherche le moyen de te parler mais je ne peux pas, je suis sous surveillance constante, mon mari, sa situation… C’est compliqué mais je pense que tu comprendras. Quand je t’ai vue dans ce restaurant il y a quelques mois, j’y ai vu un signe, un signe que j’attendais depuis de nombreuses années. Je n’ai rien oublié Juliette tu sais. A l’époque, je ne pouvais pas t’offrir ce que tu voulais. J’étais jeune et soumise à l’autorité de mon père. Il a tout fait pour que je m’éloigne de toi pour que je ne salisse pas sa réputation, l’image de notre prestigieuse famille. Il a arrangé ce mariage pour que j’aie une belle situation et depuis, je ne suis plus que l’ombre de moi-même. J’essaie de faire bonne figure devant tout le beau monde que je suis obligée de côtoyer, mes enfants. Mais, ô Juliette, si tu savais comme mon cœur s’emballe à chaque fois que je passe devant ce restaurant et que je te vois. Il y a des années, tu m’avais proposé de m’enfuir avec toi mais je m’en sentais incapable. J’avais cette pression sur mes épaules, ce poids des traditions… Juliette, je ne sais rien de ta vie actuelle, je ne sais même pas si tu te souviendras de moi mais si tu veux toujours t’enfuir avec moi, saches que je suis prête. Il me suffira juste d’un signe de ta part et cette fois, je te le promets Juliette, nous nous enfuirons ensemble. Alors, si tu le veux toujours, demain, lorsque je passerai devant ce restaurant, tu n’auras qu’à venir jusqu’à moi et me saluer. Je saurai alors que tu ne m’as pas oubliée et que je pourrai vivre la vie à laquelle j’aspire depuis bien trop longtemps. Dans le cas contraire, je ne passerais plus jamais devant ce restaurant et ne t’importunerais plus jamais… Je n’ai rien oublié Juliette et encore moins tous ces sentiments qui ont refait surface depuis ces derniers mois… »

Je ferme les yeux et pose la lettre tout contre mon cœur qui est sur le point d’exploser.

Demain, j’irai saluer Mathilde.

Est-ce que le thème « je n’ai rien oublié » vous a inspiré ? Partagez ci-dessous vos liens de participation :

Et on se retrouve le mois prochain pour un nouveau rendez-vous #10dumois sur le thème « DEBOUT LES FEMMES » !!

10dumois les thèmes de 2019

Égalimère

Working-mum, pro de l'équilibre vie pro-vie perso, qui culpabilise, râle contre les stéréotypes & les inégalités, aime la vie, les sorties et les voyages.

Cet article vous donne envie de réagir, laissez un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.