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Ça sent le sapin #10dumois

« Ah ouai, ça sent le sapin là ! » Je suis restée plantée devant lui, bouche bée. J’hésitais entre prendre le premier objet qui me tombait sous la main pour lui envoyer en pleine poire ou lui crier d’aller se faire foutre. Mais je suis restée là, sidérée par sa remarque. Je rentrais de l’hôpital où je venais d’apprendre que le cancer de Papa s’était généralisé. Il était placé sous assistance respiratoire, sous morphine, et tout un tas de capteurs sur le corps. Je savais que ses jours étaient comptés et j’avais besoin de réconfort. Pas d’entendre que ça sent le sapin…

Tristesse
Illustration Mademoiselle Maman

The end

Papa n’avait jamais pu blairer ce type en plus. C’était mon amour de jeunesse et j’étais aveuglée par ses mots doux et son côté bad boy. Moi, la jeune fille sage, insignifiante, j’avais réussi à attirer le caïd du lycée. Toutes les autres pimbêches en étaient jalouses. Oui, toutes celles qui me traitaient de lèche-cul, de fille coincée, de vilain petit canard. Jalouses les meufs, ah ah ah !!!

A ses côtés, je me suis rapidement transformée. Mon look, mon attitude, mes résultats scolaires, l’ouverture aux paradis artificiels…

Papa me mettait souvent en garde mais je n’étais plus sa « petite fille chérie ». J’étais devenue une adulte et je n’avais plus besoin de mes parents. Enfin, presque puisqu’ils continuaient à payer mon loyer et me donner de l’argent en attendant que je trouve un boulot. Je n’en avais rien à foutre de trouver un boulot. Je voulais vivre ma vie avec Rocky. C’est le petit nom que je donnais à mon copain.

Mais ce soir là, en rentrant à la maison et en attendant cette réflexion, j’ai compris. Je n’avais plus rien à faire avec lui. Tout ça, c’était fini. Alors je lui ai demandé de prendre ses affaires et d’aller sentir le sapin ailleurs que chez moi.

Papa est mort le soir de Noël. Alors que les larmes de joie coulaient sur les joues des enfants qui découvraient leurs cadeaux de Noël, ce sont des larmes de douleur qui coulaient sur les miennes. Et c’est à partir de ce moment là que j’ai plongé dans un gouffre sans fond…

Escalier Beffroi de Montrouge - Egalimère

Trou noir

Les préparatifs, la messe, l’enterrement, je ne me souviens de rien. Je n’avais pas besoin d’antidépresseur pour affronter ces douloureux moments. J’étais plongée du matin au soir dans un état second entre drogue et alcool.

Je n’ai pas voulu revoir ma mère ni ma sœur une fois mon père mis en terre. Non, je ne voulais pas me farcir leur douleur en plus de la mienne. C’était très égoïste de ma part mais c’était trop me demander alors que j’étais totalement anéantie. J’ai jeté mon téléphone portable, quitté mon appartement et disparu de la surface de la terre.

Ce fut une période trouble où j’errai de chambres d’hôtel en appartements miteux. De nombreux hommes ont croisé mon chemin, partagé mon lit, ma bouteille ou ma seringue.

J’ai connu la faim, le froid, les violences physiques et sexuelles. Mais tout ça semblait me passer bien au dessus de la tête.

Ça sentait le sapin dans mon corps alors je m’en foutais. J’étais déjà morte de l’intérieur de toutes façons.

Réveil

Et puis un matin, ou un après-midi, ou un soir, je ne sais plus, j’ai ouvert les yeux sans savoir où j’étais. Les murs de la pièce étaient couverts de blanc, les néons du plafond m’éblouissaient, j’avais mal partout et envie de vomir. Un homme en blouse blanche est entré, l’air très inquiet et j’ai compris où je me trouvais. Putain, un hôpital !!! J’ai essayé de lever pour m’enfuir, loin, très loin mais je n’ai pas réussi à bouger. L’homme m’a regardée avec toute la bienveillance du monde, s’est assis sur un bout de mon lit et a posé sa main sur la mienne. Ce geste plein de douceur qui m’a rappelé mon père a ouvert les vannes de la douleur. Mes larmes tant refoulées ont commencé à couler, rapidement rejointes par des sanglots, puis des cris.

J’ai passé les mois qui ont suivi dans une maison de repos comme ils disent. Une cure de désintox, une thérapie, des groupes de parole. Tout un programme pour que je reprenne ma vie en main, que j’arrête de fuir la douleur, que je fasse le deuil et me reconstruise.

Au bout d’un temps que je ne saurai estimer, Maman est venue me chercher. Après toutes ces années, elle n’avait pas vraiment changé. Elle avait poursuivi sa vie, ma sœur avait quitté le nid mais Maman m’y accueillait comme si j’étais partie de chez elle la veille.

La magie de Noël - Sapin - Egalimère - Ça sent le sapin

Ça sent le sapin

Lorsque j’ai ouvert la porte de la maison, cette odeur m’a sauté aux narines. Ça sent le sapin ! Je me suis figée sur le pas de la porte. J’ai fermé les yeux et le visage de Papa m’est apparu. Il était là, souriant, les bras ouverts et m’accueillait chez eux. Je savais très bien qu’il était mort mais cette vision était douce et réconfortante. Il était là comme pour me dire que je n’avais plus à avoir peur de vivre. Il me transmettait sa force et sa confiance en la vie. J’ai senti des bras m’envelopper d’Amour et un doux baiser est venu se poser sur mon front. Maman me serrait fort dans ses bras et me tirait petit à petit dans le salon.

Je me suis avancée à pas de louve dans le salon. Noémie, ma petite sœur, était là, postée devant le sapin. A côté d’elle, un grand jeune homme qui semblait un peu en retrait. Noémie s’est tourné vers lui pour lui sourire avant de s’élancer vers moi. Nous nous sommes serrées fort, très fort, et nous avons pleuré ensemble un long moment.

Et puis soudain, j’ai senti quelque chose se glisser entre nous. Noémie a baissé les yeux et j’ai fait de même. Là, se tenait un petit garçon aux yeux bleus comme l’océan. Je me suis baissée pour être à sa hauteur et j’ai plongé mon regard dans le sien. Cette ressemblance avec mon père était incroyable mais je n’étais pas au bout de mes surprises.

« Il s’appelle Paul. Il est né à Noël l’année dernière… » a murmuré Noémie.

Depuis ce jour, quand j’ouvre la porte de la maison familiale et que ça sent le sapin, je pense que mon père nous regarde. Et de là où il est, je suis sûre qu’il est heureux de nous voir toutes et tous réuni·e·s pour célébrer la vie.

Cette nouvelle est ma participation au rendez-vous #10dumois sur le thème « Ça sent le sapin ».

Retrouvez ci-après les autres participations et n’hésitez pas à cliquer sur les liens pour aller les découvrir.


thèmes 10dumois de 2017 - Egalimère

 

Égalimère

Working-mum, pro de l'équilibre vie pro-vie perso, qui culpabilise, râle contre les stéréotypes & les inégalités, aime la vie, les sorties et les voyages.

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