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La tête dans le guidon #10dumois

Il m’a annoncé ça sans prévenir, entre la poire et le dessert comme on dit. En quelques phrases, il mettait presque fin à sa promesse de m’aimer pour le meilleur et pour le pire. Il m’a dit : « Je n’en peux plus, tu as trop la tête dans le guidon. Ça fait des mois que ça dure. Tu ne t’intéresse plus à moi, il n’y en a que pour les enfants, ton boulot, alors je crois que si ça continue comme ça, je vais te quitter…« .

Je vais te quitter ! Ces 4 mots m’ont donné l’impression de recevoir un coup de poignard dans le cœur. J’ai reposé ma cuillère, penché la tête sur le côté et lui ai demandé de répéter. Je ne pouvais pas croire ce que je venais d’entendre. Je voulais en savoir plus, il me fallait des explications. Parce que non, on ne fout pas en l’air plus de 20 ans de vie commune, notre couple, notre vie de famille comme ça…

Rose et alliance - Nana Cam Photo - Parlez moi d'amour
Photo Nana Cam Photos

La tête dans le guidon 

Il s’est éclaircit la voix et a commencé à m’expliquer pourquoi il en était venu à cette réflexion. Depuis quelques temps, il se sent en dehors de ma vie. Il dit que je ne m’intéresse plus à lui, je ne m’occupe plus de lui. Que le soir, je dépose à peine un baiser sur ses lèvres avant d’aller me coucher. Il me dit que les enfants passent avant lui, que je suis tout le temps en train de faire quelque chose. Je ne me pose pas pour discuter quelques instants avec lui après le dîner. Et quand les enfants sont couchés, il sent bien que je n’ai pas « la tête à ça ».

Alors, il a l’impression de passer à côté de notre vie. Il dit qu’il a besoin de se sentir vivant, de retrouver notre insouciance, notre complicité. Mais qu’en ce moment, quand il rentre du travail, l’ambiance est tendue à la maison et que je lui fais sans cesse des reproches. Il voit bien que j’ai la tête dans le guidon mais il n’en peut plus. Alors si ça continue comme ça, il sait que notre couple va droit dans le mur et que nous nous séparerons.

Pour être tout à fait honnête, à ce moment précis de la discussion, je prends sur moi pour ne pas m’énerver. J’ai juste une furieuse envie de lui envoyer mon pot de crème dessert dans la figure et de lui hurler des insultes. J’ai trop la tête dans le guidon ! Mais il se fout carrément de ma gueule là ! Est-ce qu’il s’est un seul instant demandé pourquoi ???

Silent Sunday 24 - streetart - tête de mort

Comment en sommes-nous arrivés là ?

M’énerver et lui crier dessus ne servira à rien à part envenimer la situation. Mon cerveau est en ébullition quand je repense à ces dernières années qui viennent de s’écouler.

J’étais promise à une brillante carrière comme le disaient mes profs de l’école de commerce lors de la remise des diplômes. J’étais déjà en couple avec Jérôme à ce moment là. Nous voulions tous les deux trouver un emploi et gravir les échelons avant d’envisager de fonder une famille. Ce fût chose faite pour lui comme pour moi. Des postes à responsabilités, un bon salaire, des voyages d’affaire et les joies des retrouvailles tous les weekend. Pendant quelques années, nous nous sommes donnés à fond pour nos carrières et nous étions fier·e·s du chemin déjà parcouru.

J’avais été pressentie dans ma boîte pour un poste à plus hautes responsabilités et j’étais dans la boucle du processus de sélection. C’est à ce moment là que Jérôme m’a annoncé que sa boîte lui proposait une expatriation en Nouvelle Zélande. Une occasion en or pour lui, la proposition qui n’arrive qu’une fois dans la vie, un tremplin pour l’avenir. Alors j’ai décliné l’offre de ma boîte en me disant que la Nouvelle Zélande, quand même, ça serait un sacré challenge à relever pour moi aussi !

Alors nous nous sommes mariés pour que je puisse le suivre dans cette nouvelle aventure. Je m’étais dit que je trouverai du travail sur place et que cette expérience à l’étranger boosterait mon CV.

C’était sans compter ce petit imprévu qui a fait son apparition 7 mois après notre arrivée en Nouvelle Zélande. Trouver un boulot avec un nourrisson, des modes de garde, s’est avéré plus compliqué que prévu. Alors je suis restée à la maison pour m’occuper de notre enfant. Jérôme partait tôt le matin, rentrait tard le soir mais il avait trouvé sa raison d’être professionnelle.

Le tête dans le guidon - Egalimère

Retour en France

Sa mission s’est terminée au bout de 3 ans et nous sommes revenus en France. Il a intégré un poste équivalent dans sa boîte alors que je peinais à trouver un boulot. Et oui, les employeurs n’aiment pas les « trous » dans les CV et encore moins les jeunes mères de famille. Qu’est-ce que j’ai entendu ces questions « Vous avez un mode de garde ? Comment allez-vous vous organiser pour vos déplacements ? »

Au bout de plusieurs refus, j’ai commencé à baisser les bras et à me dire que ma brillante carrière professionnelle était terminée. Nous avons pensé que c’était peut-être le bon moment de donner un petit frère ou une petite sœur à Jules. Ce sont les deux qui sont arrivés finalement, nouvelle surprise de la vie, des jumeaux.

Me voilà donc repartie pour une longue période d’inactivité professionnelle pour m’occuper des enfants. De la maison aussi. Des courses, du ménage, de la lessive, de l’entretien du jardin, des rendez-vous médicaux, des sorties scolaires. Mais aussi des rendez-vous avec les enseignant·e·s, des inscriptions aux activités sportives, des déplacements pour les compétitions… J’étais à la maison, j’avais du temps, alors cette répartition s’est mise en place sans que nous en parlions entre nous. Cela nous paraissait « normal », comme nous l’avions vu faire dans nos familles et notre entourage.

Quand les enfants sont enfin entrés en primaire, j’ai voulu rechercher un emploi. Je voulais retrouver une vie sociale, des collègues, parler d’autres choses que des activités avec mes enfants.

En passant par une association qui m’a accompagnée, j’ai rapidement trouvé un emploi à mi-temps, pas trop loin de la maison. Cela me permettait de gérer mon boulot avec les horaires de l’école. Un boulot alimentaire comme je dis, hein, rien à voir avec le poste de mes débuts. Mais que voulez-vous, on ne peut pas vraiment réussir professionnellement si on doit s’occuper des enfants et de la maison.

Alors il me fait rire l’autre avec la tête dans le guidon !

Quand j’y pense, bien sûr que j’ai la tête dans le guidon. Tout repose sur moi dans cette maison !

Le matin, je m’occupe des enfants, les amène à l’école. Puis je vais bosser, je pars à 16 h 00 pour les récupérer à l’école. On fait les devoirs, j’enchaîne sur les bains, la préparation du repas. Un brin de ménage, rangement, lessive et voilà que Jérôme arrive après sa duuure et looongue journée.

Tandis qu’il met les pieds sous la table, je sers, coupe la viande des jumeaux, débarrasse. Et puis c’est le brossage des dents, le coucher, l’histoire du soir, un bisous et zou, au lit !

Doudous Loulou et Ti'Loulou Egalimère

Et il voudrait me quitter parce que je n’occupe pas de lui !

Je conserve toujours mon calme et je trouve que là, je mérite LA médaille du self-control. Mon cerveau mouline toujours autant. Pas question de le laisser partir comme ça en me faisant endosser la responsabilité de cette séparation. Non, il faut que je trouve autre chose pour lui faire prendre conscience de ce que je vis au quotidien. Parce que si je l’oublie, ne m’occupe pas de lui, ce n’est certainement pas parce que je ne l’aime plus. C’est que je n’ai pas le temps. Voilà, je cours après le temps. Tout le temps, toute la journée et le soir, oui, je suis épuisée.

Dans ma tête, je repense à ce billet que j’avais lu sur un blog. La lettre d’une maman qui partait en expliquant qu’elle reviendrait quand sa famille saurait se débrouiller sans elle.

Cela m’amène à réfléchir. Depuis que nous avons eu notre premier enfant, comme j’étais à la maison, j’ai pris en charge toute la responsabilité familiale. Mais quand j’ai repris le travail, nous n’avons jamais remis en cause notre organisation familiale. J’ai continué à m’occuper de toutes ces tâches, comme la plupart des femmes. Parce que c’est un rôle qui nous est attribué. On se dit que c’est normal mais en fait non. Parce que maintenant, je me rends compte que je me suis prise à mon propre « piège ».

Mais les choses peuvent changer !

Je n’ai pas attendu qu’il me fasse remarquer que j’ai la tête dans le guidon pour m’en rendre compte. Je me demandais comment les autres femmes réussissaient à gérer leur activité professionnelle et leur vie de famille. Oui, je sais, on ne se pose pas la question pour les hommes. Cela semble encore tellement ancré dans les mentalités que c’est à la femme de gérer toute la sphère familiale. Et quand vous ne le faites pas, BAM ! vous passez pour la mauvaise mère.

Dans la plupart des cas, sur les sites, les conseils tournent autours de l’organisation, de la délégation des tâches. Mais pourquoi cela serait à moi de réfléchir à ce qui ne tourne pas rond dans notre maison ? Jérôme doit bien se rendre compte qu’il fait le stricte minimum non ? A quel moment dans notre contrat de mariage il a été décidé qu’il se consacrerait à son boulot et moi à tout le reste ?

Alors oui, j’ai la tête dans le guidon mais je ne vais pas endosser la seule responsabilité de cette situation. A partir de quel moment Jérôme a-t-il arrêté de participer aux différentes tâches domestiques ? S’occuper des enfants ? Parce que je suis restée à la maison et que lui travaillait, il a considéré que c’était « mon boulot » de m’occuper de tout ça ?

Il est grand temps de mettre cartes sur table et de décider ensemble ce qu’il convient de faire pour nous sortir de ce mauvais pas.

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Est-ce que tout est perdu ?

Alors je me lance à mon tour et je lui dis qu’il est la plus belle chose qui me soit arrivée dans la vie. Je l’ai suivi au bout du monde pour qu’il ne rate pas une belle opportunité. Bien sûr, je le referai si c’était à refaire, sans aucune hésitation. Je signerai à nouveau pour construire notre belle famille et faire en sorte de donner le meilleur à nos enfants. Juste que je n’attendrai pas qu’il soit trop tard et que je me retrouve la tête dans le guidon avec cette épée de Damoclès au dessus de ma tête.

Si Jérôme à l’impression de passer à côté de sa vie, est-ce que j’ai l’impression de passer à côté de la mienne ? Non, bien sûr que non. Mais ma vie ne devrait pas se résumer à cette course permanente et il est grand temps que chacun y mette du sien dans cette maison.

Mais j’ai peur qu’il ne soit trop tard et qu’il ait déjà pris la décision de me quitter. Alors, je prends une profonde inspiration et je lui demande : « Est-ce que tu m’aimes encore ?« . Il a l’air surpris par cette question mais répond sans aucune hésitation que je suis la femme de sa vie. Mais que de cette vie, il n’en veut plus parce qu’on est en train de se perdre.

Parce qu’on a chacun de notre côté la tête dans le guidon, nous sommes en train de pédaler dans des directions opposées. Lui au travail, moi à gérer tout le reste. Sans cette discussion, nous n’en aurions pas pris conscience. Mais maintenant qu’on s’en rend compte, qu’est-ce qu’on fait ?

Un petit pas de chacun pour le mieux être de toute la famille

La tension est retombée et nous faisons un état des lieux de qui fait quoi à la maison, quand, comment. Jérôme se rend compte que passer de longues journées au travail était une manière de fuir le stress du matin et du soir à la maison. Il réalise que s’il avait été présent pour qu’on s’occupe ensemble des enfants, cela aurait évité que je porte tout sur mes épaules.

A partir de maintenant, chaque membre de la famille participera, à hauteur de ses capacités, aux tâches domestiques.

Jérôme passe son temps au travail, il part tôt et rentre tard le soir. Il va se renseigner sur les mesures mises en place par son entreprise pour faciliter l’équilibre vie professionnelle – vie personnelle des salarié·e·s. Par exemple, est-ce qu’il peut aménager ses horaires pour arriver plus tard le matin ou partir plus tôt le soir ? Bénéficier d’une journée pour la rentrée scolaire ? Prendre lui aussi des congés « enfants malades » qui ne sont pas réservés qu’aux mères de famille ? Il sait déjà que sa société à mis en place le télétravail et il se dit que ça serait bien qu’il en fasse la demande.

Et comme nous avons aussi réalisé que nous devons nous accorder du temps pour nous, pour notre couple, nous allons franchir une nouvelle étape. Nous n’avons jamais osé faire appel à un·e baby-sitter parce que nous ne voulons pas confier nos enfants à un·e inconnu·e. Mais il est temps de couper un peu le cordon non ?

Finalement, cette discussion nous aura permis de nous rendre compte d’une chose : avec des mesures assez simples à mettre en place, notre famille devrait trouver un nouvel équilibre.

Ah oui, nous avons aussi décidé de nous acheter des vélos. Comme ça, la tête dans le guidon, je l’aurai uniquement quand je voudrai aller vite et les doubler !

Couple femme homme - Passer du temps avec son compagnon sans culpabiliser
Illustration Korriganne

Cette fiction (ou nouvelle) est ma participation au rendez-vous #10dumois sur le thème « La Tête dans le guidon ».

Est-ce que ce thème aura inspiré les autres participant·e·s ? Cliquez sur leurs noms pour le découvrir !

Et n’oubliez pas, on se retrouve en novembre pour un nouveau thème ! 

thèmes 10dumois de 2017 - Egalimère

Égalimère

Working-mum, pro de l'équilibre vie pro-vie perso, qui culpabilise, râle contre les stéréotypes & les inégalités, aime la vie, les sorties et les voyages.

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