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Qu’est ce qui cloche avec mon diplôme ?

Il y a quelques jours, je me suis rendue à l’Agence Régionale de Santé m’inscrire sur le registre Adeli. Lorsque je me suis présentée au bureau des enregistrements, la personne qui m’accueillait a été très surprise. Pourquoi ? Parce que j’ai obtenu mon diplôme en 1994 mais que je faisais cette démarche pour la première fois. Et oui, pendant plus de 20 années d’exercice de mon métier, je n’ai jamais eu à m’inscrire sur ce registre. Mais qu’est ce qui cloche avec mon diplôme ? Bienvenu·e·s dans la face cachée du monde de l’insertion professionnelle !

Attention, révélation !

Comme vous le savez si vous me suivez depuis quelques temps, j’ai travaillé dans le domaine de l’accompagnement vers l’emploi et la formation. Je suis titulaire d’un DESS de Psychologue du Travail (Bac + 5) qui me permet d’exercer dans les métiers du conseil en orientation et évolution professionnelle.

Au début de mon année de DESS, je me souviens de ces professeurs qui nous disaient que nous étions une espèce d’élite. Sur 300 candidatures, nous étions seulement 24 à être sélectionné·e·s. Les diplômé·e·s des promotions précédentes avaient trouvé un emploi de « cadres » pour la plus grande majorité. Avouez, quand vous entendez cela, vous vous voyez déjà en haut de l’affiche !

Diplôme en poche, contrairement à la plupart de mes camarades de promo dont les parents avaient financés les études, je devais trouver un emploi au plus vite. Parce que oui, même si mes parents avaient fait leur possible pour nous aider dans nos études, ils ne roulaient pas sur l’or. J’ai donc rapidement envoyé mes CV et mes lettres de motivations, passé des entretiens et obtenu mon premier emploi.

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Un diplôme qui ne sert à rien

Un emploi d’assistante administrative dans une agence de publicité. Je devais me servir de mes connaissances pour réaliser des enquêtes de satisfaction, les analyser, en faire des compte-rendus. Mon diplôme ? La directrice de l’agence ne se souciait que de mes compétences à exploiter et n’en avait rien à faire. Mon salaire ? Un smic. Mais voilà, pour moi, jeune diplômée sans argent, un smic représentait déjà le graal. Il me permettrait de payer mon loyer, de manger autre chose que des pâtes et du riz, de me payer des fringues.

Une fois que l’agence avait bien exploité mes compétences de jeune – et naïve – diplômée, j’ai été remerciée. Passage par Pôle Emploi – Chômage – Allocations…

Après quelques démarches, j’ai retrouvé un emploi dans un centre de formation. Sur le papier, j’allais pouvoir recruter des stagiaires, monter leur dossier, les suivre et les conseiller dans leur recherche de stage pratique. Dans la réalité, je me suis retrouvée avec un listing d’entreprises à contacter pour leur vendre des formations. Mon diplôme ? Bah, pour passer des coups de fils et vendre une formation, pas besoin. Mon salaire ? Un smic pourquoi ?

Mais je ne pouvais pas me permettre d’attendre le poste et le salaire que j’espérais.

Je connais la valeur du travail et je n’ai jamais rechigné devant un emploi, même s’il ne correspondait pas à mon diplôme. Mon père a commencé à travailler à l’âge de 16 ans et a gravi les échelons professionnels années après années. Depuis que nous sommes en âge de travailler, ma fratrie et moi avons exercé différents jobs d’été, du baby-sitting au montage-démontage de manèges. Pendant ces années post-études, j’ai également occupé différents types de poste. J’ai vendu des portes de placard coulissantes, des crédits à la consommation, j’ai été opératrice de saisie ou téléconseillère…

Je ne rédige pas cet article pour me plaindre mais pour apporter un éclairage sur des pratiques discutables dans le monde de l’insertion professionnelle.

Enfin une première expérience dans mon domaine

J’allais donc de désillusion en désillusion en pensant que je ne trouverai jamais LE poste de cadre qui m’avait été vendu par les profs. Et puis, un centre de formation m’a embauchée et j’ai pu monter mes premiers modules d’accompagnement à la recherche d’emploi. Il sous-traitait cette partie à un cabinet de consultants alors cela l’arrangeait bien que je propose de le faire. Mais est-ce que les économies faites pour la structure ont eu un impact sur mon salaire ? Que nenni !!! Une promotion ? Mouah ah ah ! Mon intitulé de poste était celui d’assistante administrative et il l’est resté. Mon salaire allait avec (un smic encore) et n’a pas changé. Comme je faisais un boulot qui me plaisait, que ce salaire me suffisait à l’époque, je m’en satisfaisais. Mes anciens camarades de promotion qui travaillaient dans l’insertion professionnelle connaissaient les mêmes embûches que moi.

Une fois cette expertise acquise, j’ai commencé à postuler pour des postes portant l’intitulé de ce que je savais faire « Conseillère emploi ». J’ai répondu à des annonces pour des « bac + 3 minimum, expérience de l’accompagnement significative exigée ». J’ai passé des entretiens, j’ai décroché des emploi mais là, j’ai découvert la face cachée des organismes qui accompagnent les demandeurs d’emploi. Et vous savez quoi ? C’est pas joli ce qui se passe dans ces structures…

Source Wikipédia – le cri – Edvard Munch

Des recrutements de Bac + 5 pour des postes de formateurs

Bonjour, vous avez un bac + 5 dans le domaine des ressources humaines, vous avez de l’expérience, votre profil nous intéresse ! Vous allez accompagner 120 personnes par mois en leur faisant passer des tests psychotechniques, travailler sur leur projet professionnel, leur recherche d’emploi ou de formation.

Nous attendons des résultats en termes de placement. Votre statut ? Formateur ! Votre salaire ? Le salaire d’un formateur et pas d’un bac + 5 voyons ! Comment ça se fait ? Bah, on s’appuie sur la Convention collective des organismes de formation ma brave dame. Les salaires ? Bah, on s’appuie sur les grilles de salaires des formateurs ma belle, hein, faut pas rêver. Et puis, c’est bien connu, le social, ça paye pas ! Vous travaillez avec passion, pour aider les autres, c’est votre vocation. Commencez pas à nous demander une reconnaissance de vos diplômes et le salaire qui va avec surtout, on est pas là pour ça…

Alors oui, vos activités sont celles d’une psychologue du travail, super, mais nous, on n’a pas les moyens de payer des cadres. Alors soit vous êtes formatrice chez nous, soit vous pointez chez nos financeurs de Pôle Emploi. C’est compris ? Voilà, bienvenue dans la vraie vie des organismes d’insertion professionnelle. 

Et voilà comment ces structures recrutent des personnes qualifiées et les sous-payent.

Un diplôme nécessaire à la structure pour décrocher des marchés

J’ai donc travaillé pour différents organismes qui répondaient à des appels d’offre de Pôle Emploi ou des OPCA (organismes paritaires collecteurs agrées, qui financent les formations et les bilans de compétences des salarié.e.s des entreprises adhérentes). Mais mon poste n’a jamais eu l’intitulé exact de mon diplôme. J’ai été formatrice, conseillère en insertion, consultante, référente emploi

Et vous savez ce qui est paradoxal ? C’est que mon titre de psychologue était nécessaire à la structure pour répondre à des appels à projet. Mais aussi pour entrer dans les critères des prestataires de bilan de compétences, pour faire passer des tests aux personnes accompagnées… Mais je n’entrais pas dans les cases de la convention collective avec ce diplôme. Les structures sont « organismes de formation » mais pas « cabinet de conseil en ressources humaines ». Qui dit formation, dit formatrice et salaire inférieur à celui qui j’aurai pu espérer dans un cabinet privé… Mais ce n’est pas tout, et là, on frôle la limite de la quatrième dimension !

Avatar Egalimère fait GRR

Des conditions de travail précaires

Avez-vous déjà entendu parler du CDD d’usage ? Quand vous travaillez dans la formation ou l’insertion professionnelle, c’est un contrat qui permet à la structure de renouveler votre CDD autant de fois qu’elle le souhaite. Ainsi, vous travaillez avec un CDD d’usage pendant un mois sans avoir la certitude que votre contrat soit renouvelé le mois suivant.

Dans la dernière structure pour laquelle j’ai travaillé avant mon poste actuel, les personnes en CDD d’usage étaient payées à l’heure de présence du stagiaire. Ce qui signifie que seules les heures passées en face à face avec une personne étaient payées. Un stagiaire ne venait pas, pas d’heure payée. Les rédactions de bilan n’étaient pas payées ou alors il fallait le faire pendant l’heure d’accompagnement de la personne. Ce qui tend à réduire la durée de l’entretien avec une personne accompagnée de 15 minutes (au lieu de 45 minutes). Et quel « bon » travail d’accompagnement pouvez-vous faire en 30 minutes ? Pas grand chose à part du suivi des démarches des personnes, de l’envoi de candidature dans l’objectif de les placer à tout prix.

Mais c’est ce que nous demandait cet organisme : du placement !

Pourquoi ? Parce que, pour être payé par Pôle Emploi de l’intégralité de la prestation (environ 745 euros), la personne accompagnée devait trouver un emploi à la fin de l’accompagnement. L’organisme touchait 50 % du prix de la prestation pour l’accompagnement. 25 % supplémentaire si la personne suivie trouvait un emploi ou entre en formation. Et les 25 % restant si la personne était toujours en emploi au bout de 3 mois.

L’objectif pour la structure est simple : augmenter le nombre de personnes accompagnées par chaque formateur, inclure le temps administratif dans la durée de l’entretien, mettre la pression sur les chiffres de retour à l’emploi des personnes suivies. Un travail sous pression constante avec vérification des chiffres, de la durée des entretiens. Du chiffre, du chiffre, du chiffre ! L’humain n’a pas sans place dans ce type d’organisme, seul la rentabilité compte.

Certaines personnes exercent en free-lance. Mais là encore, en fonction des structures, leurs tarifs doivent être revus à la baisse. Mais en faisant appel à ces personnes, la structure évite de passer des seuils de salariés qui les obligeraient à mettre en place des instances représentatives du personnel. Vous savez, les délégué·e·s du personnel qui pourraient réclamer de meilleures conditions de travail…

Du mépris pour les salarié.e.s et les personnes accompagnées

Avec ces CDD d’usage, certains « formateurs » pouvaient donc passer 8 heures dans la structure sans être payés pour leur journée. Lorsqu’ils en parlaient à la responsable d’agence, elle répondait « Si les personnes ne viennent pas, vous les menacez d’être radiées de Pôle Emploi. Vous leur dite qu’elles vont devoir rembourser les allocations chômage qu’elles ont perçues. Et vous allez voir, elles vont venir comme ça. Et vous penser à faire signer les rendez-vous manqués ». Pour être payé, l’organisme doit pouvoir attester de la présence des personnes à chaque rendez-vous. Un rendez-vous manqué, c’est toute la prestation qui n’est pas payée. Et je ne vous parle pas des fausses signatures qui sont réalisées par les formateurs ou formatrices à la demande de la responsable. Bah oui, pas folle la responsable, si l’organisme se fait épingler pour faux, qui va être renvoyé d’après vous ? Le formateur pardi !

Des entretiens à la chaîne, des CDD d’usage, salaires minimums, obligation de résultats (remettre les personnes au travail à tous prix), harcèlement moral sur le lieu de travail, mépris des personnes accompagnées, faux et usage de faux… Voilà la face cachée de certaines de ces structures.

Epernay - silent sunday 25

Qu’est ce qui cloche avec mon diplôme ?

Avec mon diplôme, rien ! Avec les employeurs, beaucoup de choses. Embaucher un bac + 5, ça signifie embaucher (normalement) une personne avec un statut cadre. Alors, pour contourner ce statut, on attribue aux personnes des intitulés de poste en fonction de la grille de la convention collective. Et le salaire qui va avec. C’est la grande braderie pour les personnes qui travaillent dans le domaine du social. Nos situations sont parfois bien plus précaires que les personnes en recherche d’emploi.

J’ai encore en tête cette personne qui m’avait dit « Oh mais moi, à moins de 2500 € net, je ne travaille pas ! Vous êtes d’accord avec moi non ? Vous non plus vous ne travailleriez pas pour cette somme ? ». Ah ben non, je ne travaillais pas pour cette somme mais pour un salaire à peine plus élevé qu’un smic…

J’aurai encore bien des choses à raconter sur ces organismes qui accompagnent les demandeurs d’emploi et je ne suis pas la seule. Pour ce rendez-vous #10dumois sur le thème de qu’est ce qui cloche, j’avais envie d’aborder cet aspect de ma vie. Je ne vais pas parler des cloches de Pâques parce que, la cloche dans cette histoire, c’est bien moi et toutes ces personnes qui travaillent avec ces humains et non des chiffres…

Et maintenant, qu’est-ce qui cloche avec les participant·e·s à ce rendez-vous #10dumois ?

Égalimère

Working-mum, pro de l'équilibre vie pro-vie perso, qui culpabilise, râle contre les stéréotypes & les inégalités, aime la vie, les sorties et les voyages.

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