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Crédit photo @Egalimère

Le poids de mon humeur, ce terrible secret

« Gros cul, gros cul, gros cul… » Bien des années plus tard, c’est avec le sourire que cette comptine raisonne encore dans ma tête. Mes sœurs et frère aimaient bien me charrier sur cet aspect de mon anatomie tout comme je me moquais du nez ou des oreilles de l’un-e ou de l’autre. Nous étions enfants, il n’y avait derrière ces mots aucune intention de me blesser… Le mal est venu plus tard.

Lorsque je revois des photos de moi enfant, en effet, mes fesses sont rebondies. Je n’ai jamais été mince comme mes copines, plutôt dans la normale, avec cette particularité d’être dotée d’une cambrure qui donne à mon postérieur un aspect rebondi avec du volume.

Je pratiquais du sport tous les jours ou presque, je passais mes journées à l’extérieur, je ne mangeais pas trop de cochonneries et mon corps s’est développé avec des muscles plutôt saillants. Le sport ne m’a jamais fait maigrir, il m’a sculptée sans jamais faire dégonfler mon derrière.Pour autant, ce « gros cul » ne m’a jamais empêchée de vivre mon enfance et mon adolescence de manière tout à fait sereine et heureuse, il ne m’a pas complexée plus que cela, ne m’a pas freinée dans la manière de m’habiller. A cette époque, je ne me préoccupais pas encore de mon « poids » .

Ce n’est que plus tard que j’ai pris conscience que mon poids allait être un boulet que je traînerais toute ma vie jusqu’à ce que je me rende compte qu’il pourrissait mon quotidien.

Perdre du poids…

Depuis mes 20 ans, j’ai dû essayer tous les régimes de la terre pour ressembler à l’image de la femme idéale. Celle qu’on voit dans les magazines. Celle qui s’affiche sur nos écrans de télévision ou au cinéma. Pour coller à l’image de la femme fatale afin de plaire à celui qui m’a bousillée de l’intérieur.
Le premier n’était pas vraiment un régime mais un liquide à diluer dans de l’eau à boire tout au long de la journée sur une durée de 3 jours. Résultats spectaculaires, perte nette sur la balance mais reprise de poids instantanée dès le retour à une alimentation normale (après 3 jours de diarrhée, n’ayons pas honte de l’avouer !).
Je ne vais pas vous détailler toutes les modalités, ni les résultats mais disons qu’en gros, j’ai essayé tout ce qui se faisait : la soupe au chou, le régime détox, la diète protéinée, les slimfast, la diète tout court, le régime tout vert, le régime dissocié,  le régime sans glucide, la chrononutrition, les régimes avec des « noms » (mais oui, Dukan, Mayo…), je me suis faite vomir après chaque repas, j’ai compté les points de chaque aliment… Bref, j’ai essayé presque tous les régimes… J’ai envié toutes les anorexiques de la terre. Je me rêvais maigre comme elles mais je n’y parvenais pas. Ma gourmandise et la faim étaient toujours plus fortes que ma volonté. Alors je passais mon temps à culpabiliser.
Tristesse
Illustration Mademoiselle Maman

Pourquoi m’imposer tout cela ?

Parce que de mon poids allait dépendre mon rapport avec l’autre. Je mesure 1 m 63, je pesais 52 kilos lorsque je l’ai rencontré, 54 quand il a commencé à me faire remarquer qu’ils étaient 5 de trop…

Dès que je gonflais un peu, je n’étais plus désirée, j’étais rejetée, je ne valais plus rien… Dès que je maigrissais, je redevenais un « objet de désir » auquel il apportait de l’attention, couvait de mots doux et de compliments, un trophée qu’il était fier d’exposer à la vue des autres, une poupée qu’il pouvait habiller pour exhiber ses formes presque parfaites…

C’est difficile à comprendre pour les personnes qui n’ont pas vécu cette situation et qui diront que j’aurai pu refuser tout cela et le quitter. Mais quand vous être confrontée à ce qu’on appelle « la manipulation« , qui fait partie d’un mécanisme bien plus complexe (l’emprise), vous ne vous rendez compte de rien, vous perdez tout sens critique et tout raisonnement.

Je n’avais pas besoin de balance, son œil « expert » suffisait à me faire comprendre dans quelle catégorie je me situais : désirable – non désirable.
Alors, pour devancer son jugement et la manière dont j’allais être traitée, j’ai commencé à me peser, tous les jours, plusieurs fois par jour même… J’arrivais donc à maintenir un « poids de référence » à coup de régimes plus draconiens les uns que les autres, en dépit du bon sens…
Et puis un jour, mon corps a commencé à me faire défaut. J’ai pris beaucoup -trop- de poids, je me sentais épuisée, mon humeur était chamboulée, je faisais des malaises. Les examens ont mis en évidence une « Thyroïdite de Hashimoto » : ma thyroïde ne produit pas assez d’hormones ce qui a une incidence sur mon poids, mon humeur et bien d’autres choses. L’endocrinologue m’a donc prescrit un traitement hormonal à prendre tous les jours, à vie, avec un contrôle tous les 6 mois.

Descente aux enfers

A cause de cela, j’ai dû faire encore plus attention à mon alimentation, à mon poids, à tel point qu’en c’en est devenu une obsession, un TOC, une fixette, appelez-ça comme vous voulez mais j’en étais rendue à me soumettre à un rituel quotidien pour ne pas prendre le moindre kilo en trop. 
Tous les matins, c’était la même chose : après le lever, filer aux toilettes pour vider le plus possible ma vessie avant de :
  •      me déshabiller,
  •      sortir la balance
  •      effectuer les réglages
  •      poser le pied droit puis le pied gauche
  •      fermer les yeux pour éviter de voir les chiffres s’affoler
  •      me scruter longuement dans le miroir
  •      regarder le résultat…
 En fonction de ce dernier, ma journée allait être soit belle, soit terne.
A poids égal à celui de la veille ou inférieur était associé un sentiment de fierté, de bien-être, de réussite, de confiance en moi.
A poids supérieur, mon humeur dépendait de la fourchette entre le résultat de la veille et celui du jour et je ne manquais pas de ME rabaisser :
– 200 gr. : pfff, qu’est ce que tu as foutu encore ?
 – entre 200 et 500 gr. : bah voilà, bravo, tu es fière de toi là ? Tu sens où il est passé le petit creux de 21 heures ? Tu regrettes d’avoir pris un dessert maintenant non
 – plus de 500 gr. : eh ben voilà ma grosse, t’es qu’une merde ! Aucune volonté, aucun effort, tu ne vaux rien. Tu le sens le gras dans tes fesses là ? Allez, vas t’habiller et caches-moi tout ça !
Illustration KMie

Cela à duré de trop nombreuses années mais heureusement, un jour, ma vie a pris un autre tournant. J’ai réussi à partir (ça, c’est une autre histoire) mais je n’avais plus aucune confiance en moi. Je cachais mon corps dans des vêtements qui ne me correspondaient pas. Je ne voulais plus qu’on le voit. Je ne voulais plus être cet objet. Je ne voulais plus qu’on me regarde…

Malgré les mots doux et les caresses de mon amoureux, j’ai continué à vivre avec « le poids de mon poids », avec cette obsession du chiffre sur la balance, avec ce contrôle régulier.

Personne ne se doutait de ce que je ressentais le matin face à la balance. Personne ne s’imaginait que je vivais avec cette obsession, avec ce sentiment de honte, de culpabilité, d’échec permanent parce que je n’arrivais plus à descendre en dessous du poids de mes 20 ans.

Mon corps a morflé pendant toutes ces années et maintenant, il se défend à sa manière et refuse de subir ces effets yoyos… Je l’ai bien senti bien lorsque j’ai décidé de me remettre une énième fois au régime.

Première prise de conscience

C’était il y a environ 3 ans. J’ai suivi le régime Dukan bien déterminée à perdre ces fichus kilos. Alors qu’autour de moi, mes copines perdaient 3 kilos en moyenne sur une semaine, je n’en ai perdu qu’un seul. J’ai persisté, j’ai perdu un deuxième kilo. J’ai continué et un troisième kilo s’est enfin envolé. Je me suis stabilisée mais dès que je reprenais une alimentation normale, mon poids variait et je repartais pour 3 jours de protéines. 

J’avais retrouvé le poids de mes 25 ans mais perdu une partie de moi.Je ne partageais plus les repas avec ma famille, je refusais les invitations chez nos ami-e-s ou au restaurant, je vivais dans la crainte du moindre gramme que je pourrais reprendre, j’étais une obsédée du gras et du sucre, je contrôlais tout, absolument tout, les étiquettes pour vérifier que l’apport en protéines est supérieur à celui en glucide, la moindre trace de matière grasse…

Je perdais ma bonne humeur. Je me renfermais sur moi et au lieu de me sentir fière, je me sentais aigrie. J’avais l’impression d’être « agressée » en permanence par la nourriture, par les gâteaux dans les vitrines des pâtisseries, par les odeurs des rôtisseries, par le marchand de vin qui me propose de goûter son dernier arrivage, par le restaurant indien qui veut m’offrir un nan au fromage avec ma commande…

Je me rendais bien compte que tout cela avait une incidence sur ma vie de couple, ma vie de famille, ma vie sociale… En gros, j’étais devenue chiante pour tout le monde et j’ai fini par m’en rendre compte.

Que faire alors ? Soit je poursuis dans cette voie et je m’isole de tout le monde. Soit je lâche un peu la pression et je reprends goût au partage de bons moments à table. Je profite de l’instant présent. Je savoure tout ce qu’il y a de bon sur cette terre sans entrer dans les excès non plus.

J’ai choisi la 2ème option !

La claque !

J’ai donc réussi à arrêter ce rituel pendant un temps. Mais voilà, j’ai replongé cet été lorsque j’ai atteint un « poids d’alerte ». Ce n’est qu’un chiffre sur la balance, qui devrait être insignifiant mais qui a mis en branle quelque chose d’ancré au plus profond de mon cerveau. Un chiffre qu’il ne fallait pas atteindre pendant des années. Ce chiffre qui m’aurait valu des mots blessants et une ignorance quotidienne jusqu’à retrouver un poids « de forme »…
J’ai donc recommencé à me peser tous les jours. A me dévaloriser parce que mon poids ne baissait pas malgré le sport et une attention portée à mon alimentation. J’ai culpabilisé de ne pas réussir à maintenir ce fameux « poids de forme ». Je m’en suis voulue de ne pas réussir à perdre ces fichus kilos. Je pestais après toutes ces blogueuses que je voyais sur le net exhibant fièrement leurs courbes parfaites… Bref, retour dans la spirale infernale

Difficile pour mon entourage de comprendre mes sautes d’humeur. Difficile d’expliquer à celui qui m’aime avec ce que JE considère comme des kilos en trop que j’avais replongé dans l’addiction à la balance. Je n’arrivais pas à lui avouer que cela jouait sur mon comportement, sur mon humeur. J’avais envie de pleurer lorsque je me regardais dans le miroir ou que je posais mes mains sur certaines parties de mon corps.

Et puis, un soir, alors que j’allais servir mes enfants, Loulou a refusé son plat en disant qu’il ne voulait pas grossir. Je lui ai demandé de répéter pensant avoir mal compris mais non, il refusait de manger ce que je lui proposais et voulait manger comme moi pour ne pas grossir. 
Ce fut pour moi comme un électrochoc, une autre prise de conscience bien plus violente que la précédente parce qu’elle venait de mon fils ! Quelle image est-ce que j’étais en train de lui renvoyer pour qu’à 7 ans 1/2 il décide de ne plus prendre de poids ? Est-ce que j’étais moi-même en train de le formater de la même manière que je l’avais été toutes ces années durant ?
Non, je ne veux pas de ça pour mes enfants !
Non, je ne veux plus de cette pression sur mes épaules (ou mes fesses) !
Non, je ne serai jamais conforme aux images qu’on voit dans les magasines !
Non, je n’aurai jamais la taille mannequin et d’ailleurs je n’ai plus porté une taille 34 depuis mon enfance !
Non, j’en ai assez de m’affamer et d’en vouloir à la terre entière de manger ce que MOI je ne peux pas manger pour ne pas prendre 1 gramme !

Ce mal est en moi, encré bien profond. Parfois, il se fait plus petit, plus discret mais lorsqu’il réapparaît, il est de plus en plus douloureux, de plus en plus vivace. Je sais qu’il me fait du mal mais il fait également du mal à mon entourage et de ça, j’en ai assez. Non, mes enfants, mon compagnon et moi-même n’avons pas à subir les conséquences du passé !!!

Alors, j’ai entrepris un travail sur moi, sur l’image que j’ai de mon corps, sur mon ressenti, sur les liens du passé.Cela prend du temps, je n’ai pas encore affronté tous mes vieux démons mais je suis davantage bienveillante envers moi-même et j’arrête de vouloir me fixer des objectifs qui ne sont plus réalisables. Ma rencontre avec un Conseiller en Image dernièrement m’a d’ailleurs bien aidée et je vous en avais parlé dans un billet à relire ICI.

Je ne me suis pas séparée de ma balance, elle trône toujours dans ma salle de bain et je me pèse encore de manière régulière mais mon « poids de forme » a changé, il compte quelques centaines de grammes en plus (pour ne pas dire kilos parce que c’est encore un sujet sensible). Je prends en compte mon âge, mon activité, mes deux grossesses, ma thyroïde et je ne laisse plus ce dernier influencer l’humeur de ma journée.
Et vous savez quoi ? Mon gros cul et moi, on commence à s’apprivoiser et à réapprendre à vivre ensemble ! 
La bonne humeur ne dépend pas du poids
Illustration Crayon d’Humeur

Égalimère

Working-mum, pro de l'équilibre vie pro-vie perso, qui culpabilise, râle contre les stéréotypes & les inégalités, aime la vie, les sorties et les voyages.

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