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Celle qui ne devait pas monter dans le bus

Il y a des matins comme ça où on est encore dans notre cocon, loin de la violence ordinaire. On se lève de bonne humeur et on se dit que rien ne pourra ébranler notre journée…

On réveille les enfants en douceur, avec des câlins et des sourires, on va prendre le petit déjeuner, on se prépare…

Illustration It’s a Mum’s Life

En sortant de la maison, il pleut, mais ce n’est pas grave, nous avons mis nos manteaux et ouvrons nos parapluies. On sauterait bien dans les flaques d’eau mais on a pas le temps de rentrer pour se changer après parce qu’il faut aller travailler et que l’heure est déjà bien avancée.

Arrivés au centre de loisirs, des bisous aux enfants et hop, c’est parti pour aller prendre les transports en commun.

On dit bonjour en souriant aux autres parents, on salue la guichetière du RER, on patiente en attendant la rame, on s’extasie d’avoir de la place et de pouvoir sortir son livre…
Arrivée à la station de RER, on descend, il ne reste plus qu’un bus à prendre pour être au travail. On remercie la femme qui distribue le quotidien gratuit tous les matins, on lève la tête pour regarder ces beaux immeubles, on sourit… Non, rien ne pourra ébranler la journée…

Arrive le bus, qui, par temps de pluie, est bien rempli.
Quelques personnes descendent mais pas suffisamment pour laisser entrer toutes les autres qui patientent sur le trottoir.
Nous sommes en période de vacances scolaires, le prochain bus est dans 7 minutes mais personne ne souhaite perdre ces 7 précieuses minutes, surtout pas ces 3 jeunes filles qui tentent d’entrer avec leurs grosses valises pour aller prendre leur train.

Mais personne ne se pousse, personne n’est disposé à se serrer un peu plus ou à avancer dans les couloirs du bus où il reste encore de la place pour leur permettre de monter.
Elles tentent en vain l’autre porte mais là encore, personne ne fait le moindre effort.

Petit mouvement de passagers, l’une d’elle réussi à monter, les autres restent à quai en lui disant « Ne nous attends pas, si le train est là, pars, on prendra le suivant !!!« .

Mais le sac est trop lourd, elle n’arrive pas à le porter pour grimper la dernière marche du bus ce qui permettra de fermer les portes et donnera le signal du départ au conducteur.
Les gens pestent, lui demandent de descendre, lui disent qu’elle embête tout le monde (en fait, non, ils ne disent pas « embête » mais je ne peux pas rédiger de gros mots…) mais personne ne se pousse.

Je croise le regard de cette jeune fille, je suis juste à côté, je la vois tenter de soulever ce gros sac à plusieurs reprises mais ça bloque, il est lourd… Alors je me penche, j’accroche la poignée et je soulève en même temps qu’elle. Le sac arrive sur la plus haute marche, elle me sourit et me remercie, les portes du bus se ferment et nous partons…

Et soudain, la violence ordinaire !

C’est à ce moment là que j’entends une insulte…

Je fais mine de ne rien entendre mais je sens qu’une main me pousse un peu. Je tourne la tête et rencontre le visage d’un homme, le regard noir, qui me demande si je suis contente de moi.

J’avoue, je ne comprends pas tout de suite le sens de sa question mais il précise :

Il ne fallait pas la laisser monter, l’autre là avec son gros sac, on est déjà suffisamment entassés comme ça pour ne pas avoir à se serrer encore plus !!!.

Je confirme que oui, nous sommes serrés mais qu’il reste de la place dans les couloirs du bus et que si les gens se déplaçaient un peu, cela libérerait un peu d’espace.

Mais il n’est pas de cet avis et continue à me prendre à partie. Le ton de sa voix monte. Je cherche dans le regard des autres un peu de soutien, un semblant d’aide mais je comprends vite que « j’ai fauté », j’ai aidé celle qui ne devait pas monter dans le bus…

La jeune fille au gros sac regarde ce dernier, il prend trop de place pour qu’elle puisse fixer ses chaussures et je comprends que je n’obtiendrais aucun soutien de sa part.
Les autres passagers regardent par la fenêtre, fixent leur téléphone ou le sol, c’est tellement bien, le sol…

Nous arrivons au prochain arrêt. La fille au gros sac ne peut pas bouger, elle bloque donc une partie de la double-porte de sortie. Les gens râlent, se bousculent, s’entassent comme ils peuvent dans ce bus et j’entends toujours des phrases accusatrices à mon encontre. Non, vraiment, il ne fallait pas la laisser monter dans le bus, je n’aurais pas dû l’aider, et en plus maintenant, elle bloque tout le monde…

La délivrance est proche, mon arrêt est enfin là. Au moment où les portes s’ouvrent, je me retourne vers « celle qui ne devait pas monter dans le bus », je lui souris et lui souhaite de bonnes vacances. Elle me sourit à son tour et c’est à ce moment là que j’entends un

 » C’est ça, barre-toi, CONNASSE !!!!« 

Les portes du bus se referment et il s’éloigne. Je me retrouve là, sur ce trottoir, sous la pluie, sous ce ciel de Paris tout gris.

Plus rien n’est beau, je n’ai plus envie de sauter dans les flaques d’eau, je n’ai plus envie de sourire aux personnes que je croise…

Je pense à toutes ces incivilités répétées tous les jours dans les transports en commun, à ces gens qui ne se lèvent pas pour laisser la place à une personne âgée ou une femme enceinte, à ces gens qui se bousculent pour ne pas perdre de précieuses minutes, à ces insultes proférées un peu trop facilement, un peu trop machinalement, à cette « violence ordinaire » devenue si ordinaire qu’on ne dit plus rien, qu’on ne réagit plus…

Je pensais naïvement que rien ne pourrait ébranler ma journée mais ma bonne humeur s’est envolée et là, j’ai juste envie de pleurer…

 

Illustration de Mademoiselle Maman

Égalimère

Working-mum, pro de l'équilibre vie pro-vie perso, qui culpabilise, râle contre les stéréotypes & les inégalités, aime la vie, les sorties et les voyages.

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